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Le Forum Catholique

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Marc Levatois -  2009-05-25 19:29:37

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Merci de cette nouvelle question, tout aussi pertinente que les précédentes.

Notre pays a sans doute été moteur dans les bouleversements du monde depuis la Révolution ; le Joseph de Maistre des Considérations sur la France y voyait un aspect paradoxal de sa vocation. Par ailleurs, la réforme liturgique y a sans doute été d’autant plus drastique, notamment dans le réaménagement des églises, qu’elle a été précisément contemporaine de mutations sociales et culturelles majeures, chez nous concentrées autour de 1965, alors qu’elles ont été plus étalées dans le temps ailleurs. L’impact global de ces mutations est le thème développé par le sociologue Henri Mendras dans La seconde Révolution française, idée que je trouve d’autant plus séduisante qu’elle permet, selon moi, d’expliquer par un effet de choc, la naissance, en France, d’un mouvement d’opposition à la réforme liturgique beaucoup plus structuré à l’origine qu’il ne l’a été dans aucun autre pays. Le rôle fondateur des chocs dans la naissance d’affirmations religieuses identitaires a été mis en lumière, pour la Pologne et l’Irlande, par l’historien de la modernité Michel Lagrée, décédé en 2001.


La France se trouve donc paradoxalement à la fois au départ d’une vague de fond modernisatrice et d’une opposition précoce à cette vague. Même si les innovations réalisées dans le domaine de l’espace liturgique, dans la première moitié du XX° siècle, sont d’inspiration initiale surtout germanique, le mouvement a été notable en France, dès l’après-guerre, comme l’atteste l’article de Claudel en 1955. Le goût de nos compatriotes pour les conceptualisations rationnelles y a sans doute joué un rôle majeur. L’habitude d’une mise en oeuvre systématique des réformes a sans doute été aussi importante, comme le montrait, dans les premières années du XX° siècle, l’application très rigide des nouvelles règles du chant liturgique décidées par saint Pie X, sans précaution à l’égard des chantres de campagne ni des traditions de l’hymnaire ancien, comme l’avait relevé alors, d’un point de vue littéraire, l’abbé Brémond. Ailleurs, l'attitude des autorités avait déjà été plus souple, par exemple pour la prononciation romaine du latin.

Ces transformations ont été aussi conceptualisées dans un milieu intellectuel qui avait connu les débuts de cette réflexion appelée classiquement le mouvement liturgique et dont les initiateurs peuvent être vus dans un Dom Guéranger ou, d’une certaine façon, dans un Mgr Duchesne. Parallèlement, la France a joué un rôle important dans le mouvement de l’architecture moderne, après le Bauhaus, avec Le Corbusier, d’origine suisse mais actif en France, et la mise en oeuvre discutée des principes de la Charte d’Athènes, notamment dans le projet des Grands ensembles, dont les conséquences sont actuellement bien lourdes. Dans La Révolution des signes, l’historien Jean-Michel Leniaud a montré que les préoccupations de l’espace liturgique – à l‘époque sans remise en cause de l’orientation commune – avaient également animé la réflexion des architectes et du clergé au XIX° siècle, au moment de l’école néo-gothique, avec Viollet-le-Duc, et au-delà. Il faut également se rappeler qu’un des premiers emplois du terme espace, au sens où nous le concevons actuellement, remonte au baron Haussmann, préfet de la Seine et auteur des profondes restructurations de Paris sous le Second Empire.

La France a bien été à l’avant-garde précoce des réformes et, en lien avec l’esprit de système qui a animé leur mise en œuvre, également à l’avant-garde de l’opposition à ces mêmes réformes.

Bien cordialement.
Marc Levatois
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