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Le Forum Catholique

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Michel De Jaeghere -  2008-12-09 19:14:56

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Je n’ai pas voulu prendre « la défense de Jean-Paul II », mais celle de la vérité. Il se trouve que préparant une conférence sur (et contre) la repentance, dans le cadre de l’Université d’été que Renaissance catholique lui consacrait en 1999 (les actes sont parus sous le titre : Pourquoi nous ne demandons pas pardon), je me suis plongé dans le dossier, et que j’y ai découvert tout autre chose que ce que je croyais y trouver. Cette conférence, actualisée et étoffée, a été publiée sous le titre : la Repentance, histoire d’une manipulation. Cette manipulation m’a d’autant plus frappé que j’en avais été moi-même la victime. J’ai gardé en effet le souvenir de mon agacement à la lecture du Monde, le jour où ce quotidien avait titré sur six colonnes, le 16 mars 1998 : « Le Vatican reconnait la responsabilité de l’Eglise dans la Shoah » à l’occasion de la publication du texte : Réflexion chrétienne sur la Shoah. Je n’avais pas, alors, eu la curiosité de vérifier les dires d’Henri Tincq en me procurant le document romain, et je m’étais contenté de cette recension. J’ai donc été surpris de découvrir, quelques mois plus tard, à la lecture du texte, que c’était le contraire qui était vrai. Qu’il insistait sur l’opposition de l’Eglise au nazisme, sur les racines athées et même antichrétiennes de l’antisémitisme hitlérien, sur l’exemple de sainteté donné par Pie XII. Henri Tincq avait eu l’imprudence (et l’impudence) de commenter un texte qu’il n’avait pas lu (il avait été publié entre le bouclage du Monde et sa parution), sur la foi de rumeurs infondées.
Il se trouve que dans cette affaire de repentance, de telles manipulations se sont répétées à de très nombreuses reprises. Il m’a paru intéressant de le révéler.
Parce que mon métier consiste d’abord à chercher la vérité.
Parce que cela me paraissait symptomatique de l’océan de mensonges que véhicule quotidiennement le système médiatique, et qu’il me semblait nécessaire d’appeler les catholiques de bonne foi à faire preuve d’un discernement aiguisé.
Parce que cela donnait également la mesure des difficultés dans lesquelles, aujourd’hui, un pape doit gouverner.
La mainmise des médias audiovisuels sur les pensées est telle qu’elle peut donner aux spectateurs/ auditeurs le sentiment d’avoir eux même assisté à des évènements qui n’ont jamais existé : parce qu’ils en auront vu les acteurs en images muettes, pendant qu’un commentaire en off aura pu donner de leur action une vision complètement biaisée.
Autre exemple à ce sujet : celui de l’Inquisition.
C’est l’un des rares domaines au sujet duquel Jean Paul II a véritablement été à l’origine d’une demande de pardon. Il l’a d’abord annoncée (1). Il a pour cela convoqué un symposium de savants(2) qui s’est réuni à Rome pour en discuter (3). Le 13 mars 2000, le cardinal Ratzinger a prononcé (lors de la fameuse cérémonie de demande de pardon à Saint Pierre de Rome) la formule suivante : « Prions pour que chacun de nous, reconnaissant que des hommes d’Eglise, au nom de la foi et de la morale, ont parfois eu recours, eux aussi, à des méthodes non évangéliques en accomplissant leur devoir de défendre la vérité, sache imiter le Seigneur Jésus, doux et humble de cœur. »(4). Quelques mois plus tard, les actes du symposium ont été publiés (5).
Vous remarquerez que la formule utilisée par le cardinal Ratzinger était très mesurée : l’Inquisition n’y était pas nommée, le pape et le préfet du Saint Office ayant jugé que l’institution ne pouvait être discréditée, la frontière du bien et du mal passant à l’intérieur des institutions comme à l’intérieur des personnes. Elle consistait à reconnaitre que la force avait été parfois (pas toujours), utilisée par des chrétiens (pas tous), eux aussi (ils n’étaient pas les seuls) et pour faire leur « devoir » qui était de défendre la vérité. On était donc très loin de l'image médiatique de moines fanatiques qui auraient mis le monde à feu et à sang en défendant des doctrines absurdes. Les actes du symposium n’ont pas été traduits en français. D’après la recension qu’en a donné Yves Chiron, ils apparaissent comme une mine d’informations, donnant de l’Inquisition une image très mesurée, loin de la légende noire protestante ou des caricatures contemporaines.
Quel retentissement ce processus a–t-il eu cependant dans les médias ? : dans les 5 occasions que je viens d’énumérer, ils se sont contentés de dire qu’une nouvelle fois, Jean Paul II venait de demander pardon pour les crimes de l’Inquisition. Le spectateur, l’auditeur, le lecteur de journaux ordinaire n’en aura donc retenu que le sentiment que Jean Paul II ne cessait, quasi obsessionnellement, de retourner le couteau dans la même plaie. Il sera dès lors, inutile de lui dire que cela n’est pas vrai : il aura le souvenir personnel d’une série de demandes de pardon qui n’auront pas existé.
Jean-Paul II, dites vous, "ne pouvait pas ne pas savoir" que son initiative serait utilisée par les ennemis de l’Eglise. C’est possible, et je ne nie pas qu’il y ait eu là de sa part une imprudence, une faute de gouvernement. Cela ne justifie pas qu’on lui attribue des propos ou des intentions qui n’étaient pas les siens. Au surplus, j’en viens à me demander, à la lueur de ces exemples, quelle liberté il reste à l’Eglise, dont le gouvernement s’exerce par la parole, pour en user. Si elle doit s’abstenir dès lors qu’existe un risque de voir ses propos déformés, il ne lui restera bientôt qu’à se taire.
Quoi qu'il en soit, mon propos n’était pas de juger le pontificat de Jean Paul II, son gouvernement, etc, mais de rétablir, sur ce point précis, la vérité.
Je m’étonne que cela ait pu scandaliser et cela me semble significatif d’une dérive, d’une tentation de passer de la défense de la vérité à des querelles de clans ou de personne : parce que nous serions en désaccord avec certains actes du gouvernement de Jean Paul II, il faudrait noircir à tout prix sa personne, pour nous rassurer sur les bons choix que, par ailleurs, nous aurions faits. Rétablir la vérité des faits quand elle lui est plus ou moins favorable, ce serait, pour certains, prendre illégitimement sa défense, et donc « jeter le trouble » dans les confortables certitudes des traditionalistes, semer la division et in fine « trahir Mgr Lefebvre », puisque ce pape l’a excommunié.
Il me semble que rien ne doit être préféré à la vérité.
M DeJ.

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