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Le Forum Catholique

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Michel De Jaeghere -  2008-12-09 18:38:04

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Cher Monsieur
Je réponds dans l’ordre à vos différentes questions
1 Anachronique. Oui. J’ai écrit cette pièce en 1989, il y a donc près de 20 ans. Je précise d’emblée que l’action se situe au milieu des années quatre-vingt, sous le pontificat de Jean-Paul II. Cela est souligné par le fait que les symboles de la modernité de Mgr Gallorme sont la possession d’un ordinateur, d’un telex et d’un minitel. Nous sommes dans le monde d’avant internet.
Je suis moins optimiste que vous sur la disparition de mon modèle. Il me semble que nombre d’évêques signeraient encore la plupart des déclarations de mon Gallorme (voyez du coté d’Evry ou d’Ajaccio, par exemple).
Un certain nombre de tirades que je mets dans sa bouche sont de simples démarquages de documents épiscopaux ou de parcours catéchétiques qui n’ont pas été désavoués et dont certains restent encore en usage dans les diocèses de France.
Il est bien vrai que le profil des évêques récemment nommés par Benoit XVI (Vannes, Saint Claude, Saint Etienne, Nanterre, Lyon ou Bayonne) est assez différent et c’est un motif d’espérance. Mais le progressisme a encore de beaux restes : je vous renvoie à la Note de réflexion du secrétaire de la commission doctrinale de l’épiscopat français critiquant en 2005 Mel Gibson pour avoir dans sa Passion, représenté la résurrection, « contre l’esprit des Evangiles » comme « un évènement en solitaire et perceptible en soi, antérieur à la logique de rencontre et de témoignage des apparitions », alors que « les récits d’apparition supposent la mystérieuse liaison d’amour du ressuscité aux témoins qu’il choisit avec soin , et la communion retrouvée avec les disciples ». Cela voulait tout de même dire en bon français qu’il estimait que la Résurrection n’était pas un fait objectif, mais une certitude intérieure des apôtres et des saintes femmes à qui Jésus était apparu (c’est d’ailleurs ainsi qu’elle avait été représentée dans le spectacle Jésus de Robert Hossein, que le cardinal Lustiger avait encouragé ses ouailles à soutenir). Cela me parait à rapprocher du récent propos de Benoit XVI, s’alarmant, lors du synode de la Parole de Dieu, du fait qu’actuellement, en Allemagne, le courant dominant de l’exégèse estime que le corps du Christ n’a jamais quitté son tombeau. La Résurrection est pour ces exégètes d’un autre ordre. C’est précisément ce qu’explique Mgr Gallorme dans ma pièce.
En Corse, comme vous le savez peut-être grâce aux articles de Jacques Tremolet de Villers, l’évêque d’Ajaccio ferme les paroisses dans le cadre d’un redéploiement pastoral qui l’amène à refuser des prêtres, même lorsqu’ils disent exclusivement la messe de Paul VI. Sans doute préfère-t-il que les laïcs se prennent en charge. C’est ce que fait Mgr Gallorme dans son diocèse.
A Lisieux, Mgr Pican est venu en personne admonester ses fidèles, parce qu’ils prenaient leur voiture pour aller à la messe (nouveau rite) plutôt que d’assister aux Adap dans leur propre paroisse. Mgr Gallorme n’y avait pas pensé, mais il aurait pu le faire.
Les abbés Dubost, le temps passant, se font rares (cela nous permet de mesurer ce qu’a eu de précieux pour l’Eglise, l’intuition de Mgr Lefebvre, et la fondation d’Ecône). Ils existent encore. Voyez l’abbé Michel, qui a maintenu la messe traditionnelle sa paroisse de Tiberville, dans le diocèse de Lisieux, sous Mgr Pican.
Ce qui date le plus, c’est l’aspect « prélat médiatique ». Mgr Gaillot est aujourd’hui bien démodé, et la télévision ne lui a pas recruté de remplaçant.

2 Mgr Gallorme n’est pas antipathique, et l’abbé Dubost n’est pas un génie : c’est à mon sens ce qui fait la force de leur confrontation. Un texte de propagande, qui aurait mis en scène un évêque odieux et un saint prêtre aux réparties brillantes aurait eu quelque chose de caricatural. Le lecteur aurait senti que les choses ne sont pas aussi simples.
Une pièce de théâtre ne peut « fonctionner » que si le lecteur, ou le spectateur sent que les personnages sont véritablement incarnés : qu’ils ne sont pas de simples prétextes, l’habillage hâtif de positions contradictoires, des pantins que l’on caricature pour les besoins de la démonstration. Il faut donc que l’auteur entre dans leurs raisons, et qu’il les défende comme si elles étaient les siennes propres.
Une pièce de théâtre n’est pas un pamphlet : elle ne met pas en scène des idées, mais des personnages (même si dans le cas qui nous occupe, ces personnages sont réunis par un débat d’idées). Elle ne peut donc pas conclure, sauf à tomber dans un genre édifiant qui la condamnerait à la guimauve, et finalement à l’inefficacité.
Ce que j’ai voulu faire, c’est montrer que la querelle des rites n’était pas affaire de détail, ou de sensibilité. Que la crise de l’Eglise avait vu l’émergence, à l’intérieur de l’Eglise, d’une foi nouvelle, née d’une réinterprétation moderniste de l’Ecriture et de la Vérité révélée. Je ne veux pas dire par là que tous les tenants du nouveau rite sont nécessairement des modernistes. Je veux dire que les modernistes sont parmi eux, parfaitement tolérés, titulaires de hautes responsabilités, y compris celle d’évêque.
Par là, je voulais combattre deux erreurs symétriques. Celle qui consisterait à penser que le traditionalisme procède d’un attachement absurde à des détails sans importance –une affaire de latin, de surplis, etc. Une désobéissance inqualifiable, née dans des esprits particulièrement bornés, qui n’auraient pas compris que l’on pouvait retoucher la forme sans rien toucher au fond. Celle qui consisterait à penser à l’inverse que les évêques qui s’y sont opposés sont par définition des gens de mauvaise foi (il y en a, bien sûr), des bureaucrates sans âme, infidèles à leur ministère. J’ai voulu mettre en scène un homme de bonne foi, en essayant de comprendre ce qu’il avait dans la tête, et comment il conciliait la répudiation de la foi des anciens jours avec la volonté d’être fidèle à l’Evangile, au Christ à qui il avait malgré tout donné sa vie.

3 Que fallait il faire ? Il me semble que la résistance de l’abbé Dubost est héroïque, sa bienveillance estimable, mais que la pièce en montre les limites. Qu’elle rend évident le fait qu’il fallait autre chose. Non pas en lieu et place, mais en plus. Il fallait des Dubost, et il fallait Ecône, pour que la hiérarchie ne se contente pas d’attendre la mort des vieux prêtres contestataires. Pour que les vocations ne soient pas perdues, comme elles l’ont été, par milliers, dans les années soixante ou soixante-dix.
Il me semble que dans la situation de crise qu’a connu l’Eglise, plusieurs types de réactions étaient possibles, légitimes, et que toutes ont concouru, malgré leurs faiblesses, au bien de l’Eglise.
Je crois que l’un des problèmes qui minent aujourd’hui le monde traditionaliste est la volonté de trouver à tout prix la martingale, la solution unique, dont le rejet suffirait à vous disqualifier, et à justifier que l’on vous accuse de trahison, de libéralisme, ou d’un autre coté d’intégrisme . Mieux encore : nous voudrions que la voie que nous avons choisie ait toujours été la bonne, toujours été la seule possible. Il y a là une attitude qui me parait relever d’une sorte de neo-kantisme chez ceux-là même qui récusent (à juste titre) la pensée moderne, dans la mesure où elle consiste à élever le moindre choix circonstanciel au rang de règle morale universelle. Il me semble que nous devrions avoir l’humilité d’accepter l’idée que dans une situation aussi difficile, plusieurs choix étaient possibles.
M De J.


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