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Le Forum Catholique

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Annie Laurent -  2007-05-14 18:43:25

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Sachez d’abord qu’il n’y a pas de théologie en Islam et qu’il convient donc de parler de science religieuse. En effet, on ne doit pas scruter le mystère de Dieu dans la mesure où le Coran le présente comme « intangible », « inaccessible », « inconnaissable ».
Par ailleurs, le qualificatif « médiéval » ne convient pas ici, d’autant plus que vous semblez lui donner un sens dépréciatif.
La situation dans l’Islam ne se pose pas de la même façon que dans l’Eglise et cette différence tient au statut des Ecritures sacrées et au rapport des fidèles à leurs Ecritures. Pour les chrétiens, la Bible est un recueil de livres inspirés, qui ont donc tout à la fois Dieu et les hommes pour auteurs. Pour les musulmans, le Coran est un Livre dicté entièrement par Dieu en langue arabe à Mahomet, lequel est réputé avoir transmis passivement à ses compagnons ce que lui dictait l’ange Gabriel au nom de Dieu. Pour accréditer l’idée que Mahomet n’a ni conçu, ni composé, ni écrit le Coran, les musulmans disent que Mahomet était illettré (ce qui est remis en cause par les recherches les plus récentes effectuées par des savants islamologues tel Alfred-Louis de Prémare (cf. Aux origines du Coran, éd. Téraèdre, 2004).
Au Xème siècle, clôturant les débats qui opposaient, en Mésopotamie, à Bagdad en particulier, divers mouvements dont certains prônaient la reconnaissance du Coran comme œuvre au moins en partie humaine et le recours à la raison pour comprendre la volonté divine, le statut du Coran comme Livre incréé s’est imposé aux musulmans. Il faut dire qu’il se décrit lui-même comme la copie fidèle d’un archétype, la « Mère du Livre », qui se trouve auprès de Dieu (Coran 3, 39). Il lui est donc consubstantiel.
Il en est encore ainsi : pour l’immense majorité des musulmans, le Coran est un livre divin. C’est pourquoi il ne saurait être soumis à l’analyse critique, à l’herméneutique et à l’exégèse.
Ainsi apparaît une grande différence avec le rapport que les chrétiens ont avec leurs propres Ecritures saintes.
L’interprétation du Coran a cependant toujours existé. Il s’agit d’aider les fidèles à comprendre ce que Dieu dit ou demande. Mais, en l’absence de Magistère unique dans l’Islam, ces interprétations sont innombrables ; elles sont proposées par des « écoles » et des idéologies et n’engagent que leurs auteurs et ceux qui les suivent. C’est ainsi que des interprétations extrêmement rigoristes et littéralistes concurrencent des interprétations plus libérales et émancipatrices.
Les nouveaux penseurs de l’islam, croyants ou pas, cherchent à promouvoir des nouvelles lectures du Coran, notamment dans ses passages les plus problématiques et les moins adaptés aux valeurs de notre époque (légitimité du recours à la violence contre les non-musulmans, non-respect de la dignité de la personne humaine, infériorité de la femme, refus de la laïcité, absence de liberté religieuse, etc.). Les plus audacieux sont des Tunisiens. Leurs travaux sont aussi édités en France.
Mais ils se heurtent aux limites que j’ai exposées plus haut et ils n’ont donc que peu d’influence, d’autant plus que les instituts traditionnels entendent conserver le monopole de la science religieuse. Certains de ces penseurs ont ainsi été sévèrement condamnés et désavoués au cours des dernières décennies pour avoir commis le crime d’« innovation blâmable ». J’ajoute que les pouvoirs politiques se gardent de les encourager ou de les protéger par peur d’être eux-mêmes considérés comme « impies » par les islamistes et d’être la cible du terrorisme.
A mon avis, rien ne sera vraiment possible dans ce domaine tant que le statut du Coran sera celui que j’ai décrit plus haut.
Bien entendu, cette situation de blocage a des répercussions géopolitiques dans la mesure où elle place le monde musulman en état de confrontation, souvent agressive, avec le reste du monde.
J’ai développé tous ces points plus longuement dans un article paru récemment dans un dossier sur l’islam de la revue Kephas (n° 21, janvier-mars 2007). Voici ses coordonnées si vous voulez le commander : 5, rue Brault – 49100 Angers. Tél. 02 41 86 48 86. Courriel : revue-kephas@wanadoo.fr
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