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Le Forum Catholique

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Jérôme Triomphe -  2011-06-20 23:05:05

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oui, cette réforme va dans le sens de la vérité et de la justice.

D’abord, il faut comprendre ce qu’est une garde à vue qui peut tomber sur n’importe lequel d’entre vous. D’un coup d’un seul, de manière parfaitement fondée souvent mais parfois sur un simple soupçon, une simple accusation, parfois pour une infraction mineure, votre vie bascule. De votre vie réglée et balisée de tous les jours, vous vous retrouvez de l’autre côté de la barrière, devant des policiers qui agissent sous l’autorité du parquet dans 95 % des cas, donc du représentant de l’accusation et des poursuites.

On vous enlève vos lacets, on prive les femmes de leur soutien-gorge (des fois qu’elles aillent se pendre…), on vous fait une fouille à corps (ça vient heureusement de changer), dénudé, et vous êtes traité comme un suspect avec plus ou moins de bonheur selon la gravité de ce que l’on vous reproche, à tort ou à raison, et du policier qui est en face de vous. Si ce dernier est persuadé que vous êtes coupable, il va faire tout ce que sa conscience lui permet pour obtenir vos aveux. Et au bout de 48h, la plupart des gardés à vue signent tout ce qu’on leur demande.

Ne croyez pas que j’extrapole. Il y a une méconnaissance gravissime de ce qu’est la violence psychologique d’une garde à vue qui fait perdre tous ses moyens à celui qui y est confronté. Bien entendu, il y en a qui se passent normalement avec des enquêteurs honnêtes et consciencieux. Mais il y a parfois des pressions psychologiques épouvantables : "si tu ne dis pas la vérité, tes enfants vont être placés à la DDASS, ta femme va te quitter et tu vas devoir vendre ta maison mais si tu parles, tout va s'arranger". Croyez-moi que le gardé à vue ne se pose alors pas la question de savoir le régime juridique du placement à la DDASS. Le gardé à vue est alors en situation de faiblesse et pour mettre fin au cauchemar, il dit ce qu'on attend de lui.

J’ai ainsi vu des policiers gardés à vue, passés de l’autre côté de la barrière, s’effondrer sous les coups de boutoirs psychologiques de certains enquêteurs.

Dans le bureau d'un juge d'instruction, un client expliquait à ce dernier qu'il n'imaginait pas qu'une garde à vue était aussi éprouvante pour dire comment on lui avait extorqué des aveux. J'ai entendu le juge lui rétorquer qu’il savait forcément comment se déroulait une garde à vue puisqu’on les voyait dans les séries policières à la télé et que si lui était innocent, il ne s'accuserait pas d'un crime qu'il n'avait pas commis !

C'est pourtant l'affaire Marc Machin qui avait éclaté quelques semaines plus tôt : accusé du meurtre du pont de Neuilly. En garde à vue, il avoue. Il se rétractera ensuite, expliquant avoir avoué sous la pression policière. On ne le croie pas et il sera condamné. Et quelques années plus tard, un individu s’accuse du crime. On vérifie et on découvre que c’est l’ADN de ce dernier qui se retrouve sous les ongles de la victime.

Un autre exemple caricatural que vous pourrez vérifier : l’affaire Mis et Thienot en 1946.

Tout cela parce qu’on a érigé l’aveu en reine des preuves, ce qui est une stupidité et la source de toutes les bavures. La garde à vue, c’est le temps policier pendant lequel on va enquêter mais on va aussi faire mijoter le gardé à vue et même le presser. L’objectif, c’est d’obtenir des aveux. L’aveu permettra de clore le dossier et de s’abstenir bien souvent des nécessaires recherches matérielles qui viendraient les confirmer ou les infirmer.

A la culture policière de l’aveu, les avocats opposent la culture du doute.

En effet, l’homme, nous le savons, est naturellement enclin à mentir, à se glorifier, et à la paresse. Or, il existe de faux accusateurs comme de vrais, des professionnels qui doutent des faits pour mieux les vérifier comme d’autres qui sont pétris dans les certitudes de leurs intuitions fondées sur rien, et il y a les enquêteurs travailleurs qui vont tout vérifier car la chose judiciaire ne peut s’exercer qu’en tremblant et ceux qui, par paresse, arracheront les aveux espérés et rentreront chez eux la conscience en paix, le client en prison et le dossier classé.

Alors Dieu merci, il y a des enquêteurs consciencieux qui ont permis d’éviter des erreurs judiciaires. Un exemple : le drame de Pleine-Fougères. La jeune Caroline Dickinson est violée et assassinée dans une auberge de jeunesse. Un homme s’accuse. On vérifie : il était à 2.000 km de là le jour des faits. Sa vie était un grand vide et l’espace d’un instant, on s’était intéressé à lui.

J’ai moi-même eu l’expérience d’un officier de police judiciaire qui est venu faire pression sur moi comme si j’étais un gardé à vue. Je venais voir un client suspecté d’un graffiti. Le policier m’a dit : « Maître, votre client refuse de parler. Je vous préviens, il a intérêt à parler parce que l’affaire est remontée au ministère et c’est devenu une affaire diplomatique. Il risque 7 ans de prison » ! C’était sidérant. Son dossier était vide, il venait de le démontrer et bien évidemment mon client n’a pas été poursuivi. Mais il essayé de combler vide de son dossier en faisant pression sur l’avocat lui-même !

Autre anecdote : un garçon de 22 ou 23 ans, bien sous tous rapports, est interpellé un soir par la BAC dans une rue où tous les rétroviseurs de voitures avaient été pulvérisés. Durant tout son interrogatoire en garde à vue, le policier lui a posé la même question : « est-ce que vous reconnaissez avoir cassé ces rétroviseurs » A chaque fois il va répondre « non ». A la fin, le policier va lui dire "bon d’accord, je prends acte de votre réponse, je vous laisse signer et vous pouvez partir vous êtes libre". Le gardé à vue prend le PV, commence à le lire, le policier lui dit qu’il est inutile de relire, de se dépêcher de signer pour qu’il puisse sortir et c’est alors que le gardé à vue lit : « je reconnais avoir cassé ces rétroviseurs » ! Il refusera de signer bien entendu.

Voilà à quoi servira désormais la présence de l’avocat : car pour ces garçons qui ont su résister, combien signent sans relire ou signent ce qu’on leur demande de signer ? C’est alors au stade du jugement qu’ils disent qu’ils n’ont jamais fait telle ou telle déclaration mais le tribunal leur oppose alors leur signature. La présence de l’avocat va donc évidemment dans le sens de la vérité et de la justice.

En outre, la garde à vue n’impressionnera pas le délinquant habitué. Celui qui sera impressionné et affaibli, c’est celui qui ne connaît pas le système vu du côté du gardé à vue.

Enfin, je ne vois pas en quoi la présence de l’avocat aux côtés de son client empêchera l’enquête de se dérouler. Au contraire : si, au vu du dossier (auquel les avocats ont théoriquement accès mais que les policiers refusent actuellement), il y a des éléments qui accusent le client, l’avocat le lui mettra sous les yeux. Que le gardé à vue parle ou pas ne changera d’ailleurs rien s’il y a des éléments matériels. Si, à l’inverse le dossier est vide, qu’il n’existe ni témoignage concordant, ni élément matériel de la culpabilité de celui qui est gardé à vue, la présence de l’avocat évitera d’arracher des aveux infondés pour combler un dossier inexistant et cela ira dans le sens d’une meilleure justice.

Dernier argument : l’avocat est présent dans les cabinets d’instruction. Cela lui a longtemps été contesté. Cela n’empêche pas les instructions de se dérouler normalement. Dans quelques mois, les policiers trouveront la présence de l’avocat aussi naturelle que le juge d’instruction.
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