Comment les chrétiens se sont-ils organisés face à cette interdiction de se rassembler ?
Ils se sont adaptés aux possibilités. A Phnom Penh par exemple, après 1979, les chrétiens se réunissaient chaque dimanche dans une maison, lisaient et méditaient l’Evangile, puis priaient le chapelet. Ayant récupéré la croix épiscopale de Mgr Joseph Chmar Salas, mon successeur mort de faim dans les camps de Pol Pot, ils la plaçaient sur une table au milieu d’eux. Puis chacun venait vénérer la croix de leur évêque mort aux travaux forcés. Dans un régime qui ne reconnaissait pas la liberté de religion, ils avaient inventé une nouvelle manière de pratiquer le dimanche. Et c’était un signe très fort de communion avec l’Eglise universelle.
Sous le régime de Pol Pot, les choses étaient encore bien plus difficiles, car tout acte religieux, tout signe de foi était strictement prohibé. Par la suite, les fidèles rescapés de cette terreur nous ont raconté comment la messe a pu parfois être célébrée clandestinement dans le village de Taing Kauk où travaillait Mgr Salas avec trois autres prêtres khmers. Les prêtres montaient dans la case et célébraient la messe à voix basse, tandis qu’au dehors les chrétiens continuaient de travailler, prêtant l’oreille au déroulement de la messe tout en surveillant aussi les abords.
Mgr Joseph Chmar Salas est-il selon vous un martyr de la foi ?
Oui, certainement. D’ailleurs, nous vénérons sa mémoire avec celle des autres victimes. Nous avons érigé une croix à Taing Kauk, qui inclut dans la largeur de sa hampe, les symboles des souffrances au temps de Pol Pot : les barreaux de la prison, les entraves de fer, le bol de riz cassé symbole de la faim, les rizières du travail épuisant. Nous voulions faire mémoire des centaines de milliers de victimes soumises à un travail d’esclave dans les camps de Pol Pot. Les souffrances des enfants, des femmes et de toutes les familles, tout cela est repris dans la croix du Christ.
Pourquoi n’y a-t-il pas eu de démarches officielles à Rome pour faire reconnaitre les martyrs de la foi ?
Cela se fera un jour. Ce n’est pas trop tard. L’Eglise du Laos a entrepris ces démarches. Le souvenir de nos martyrs est rappelé dans nos litanies. Nous avons été accaparés par l’urgence des tâches présentes Nous avions beaucoup à faire, tout à rebâtir. De plus, nous ne sommes plus que cinq prêtres actuellement au Cambodge à avoir connu ce temps-là . Les autres prêtres sont de nouveaux arrivants.
A Taing Kauk où Mgr Salas est mort, nous avons cherché à créer un lieu de mémoire pour ne pas oublier. Les communautés chrétiennes y viennent en pèlerinage. Une grande célébration y a été organisée à l’occasion des 450 ans de la présence de l’Eglise au Cambodge.