Le Forum Catholique

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images/icones/neutre.gif  ( 8710 )Jean-Luc Marion par Lux (2010-03-21 17:16:49) 

Monsieur,

Vous êtes l'un des seuls philosophes catholiques à oser critiquer Jean-Luc Marion. Vous savez qu'il fut le "philosophe officiel" de feu Mgr Lustiger et qu'il eut, par-là, une influence déterminante sur l'Eglise française post-conciliaire. Dans les milieux parisiens, sa réputation me semble intacte et intouchable. N'étant pas (du tout) un tenant de la tendance lustigérienne, vos écrits dans Pages et dans La Vérité captive (je n'ai pas encore tout à fait fini le chapitre) m'ont entièrement convaincu, et réjoui. Ma question sera donc la suivante : pour quelle raison pensez-vous que les idées de Marion ont eu autant de succès dans l'Eglise ? quelles sont leurs dimensions vraiment néfastes, voire anti-catholiques ? quels sont, au contraire, les points intéressants et féconds de sa pensée ?

Soyez vivement remercié pour vos lumières à venir.

Lux
images/icones/neutre.gif  ( 8727 )à Lux par Maxence Caron (2010-03-22 19:18:16) 
[en réponse à 8710]

Je ne sache pas qu'il y ait une « Eglise pré-conciliaire » ou une « Eglise post-conciliaire ». Il y a une Eglise catholique, c’est tout, et nous aimons son Pasteur dans la personne du Pape. Ce fut Pie XI, ce fut Pie XII, ce fut le bienheureux Jean XXIII, ce fut Paul VI, ce fut, après le très bref règne de son prédécesseur, Jean-Paul II pendant un temps dont la longueur fut une bénédiction, c’est aujourd’hui Benoît XVI à qui nous souhaitons également le plus long règne, nous en remettant en tout à la Volonté divine qui a donné en saint Pierre la Promesse à Son Eglise. La grâce du Concile Vatican II est inestimable ; les questions trop humaines n’ont rien à voir là-dedans.

Par ailleurs, lorsque je m’attelle à penser le travail de JLMarion, jamais ne me viendraient à l’esprit, à aucun moment, ses relations au Cardinal Jean-Marie Lustiger, relations dont je ne connais rien et auxquelles je n’ai aucune raison de m’intéresser. Le Cardinal Lustiger a une œuvre et une pensée, et j’ai un grand respect pour l’homme et son œuvre.

Je ne vois pas en quoi ces considérations sur les relations entre tel et tel, ou des distinctions irréelles, que n’enseignent pas l’Evangile, entre l’Eglise de telle époque et l’Eglise de telle autre, sont d’ordre à servir la Vérité. Quant au « milieu parisien », à la « réputation », ces champs lexicaux et ces termes que vous employez ne sont point, pardonnez-moi, du ressort de mon humble tâche d’individu qui essaye de mobiliser l’art et la pensée à la recherche du lieu vers lequel Dieu nous demande de tendre l’oreille et la plume.

Peut-être suis-je le seul à vouloir penser l’œuvre de JLMarion, mais je ne savais pas que cela relevait de l’audace, je croyais que la chose relevait de la pensée : il y a une œuvre, elle est représentative de certains symptômes conceptuels et c’est en cela qu’elle m’intéresse. Je n’ai pas fait au préalable une étude de marché pour savoir si quelqu’un avait par ailleurs déjà traité le problème.
Vous demandez pourquoi les idées de JLMarion ont eu du succès dans l’Eglise. J’ignore si elles ont eu du succès dans l’Eglise, en attendant elles ont du succès tout court, et le succès d’une pensée immanentiste que l’on croit superposable au catholicisme, c’est cette confusion qui doit être analysée de manière approfondie, ce pourquoi mon ouvrage La Vérité captive (publié par les Editions du Cerf) consacre un chapitre à cette « phénoménologie de la donation » qui est le nom que JLMarion donne à sa philosophie. La méthode à mettre en œuvre vis-à-vis de cette pensée est une méthode proche de celle de Nietzsche : chercher comment la maladie d’une époque s’illustre dans une doctrine. Et, le grand intérêt de la doctrine marioniste est nosologique, car ce travail révèle comment l’esprit de la philosophie outre-moderne et son absence de rigueur pénètrent au sein même de la pensée dont les conclusions se veulent chrétiennes. Lorsque je dis cela, je ne pense pas du tout, encore une fois, aux relations de l’auteur d’« Etant donné » avec son diocèse, mais à la façon « hénaurme » dont une pensée ayant si peu de rapport avec la Transcendance peut être admise comme ayant une relation vraie avec la philosophie chrétienne alors qu’elle véhicule les valeurs conceptuelles d’une ère qui est ennemie et résultat du désir d’éliminer toute relation avec la Transcendance à laquelle pourtant doit s’alimenter constitutivement tout acte de penser pour pouvoir être.

Pas une philosophie aujourd’hui ne sait remonter aux conditions de possibilité de l’acte de penser, et ne sait déterminer le champ de son propre agir. Parmi elles, la pratique de la réduction phénoménologique est une pétition de principe qui aboutit au vide qu’il est à la mode, depuis Heidegger, de mettre en relation avec d’intenses notions médiévales mécomprises à dessein, et sciemment détournées de leur signification. C’est par le biais de ces concepts médiévaux captés par homonymie, que l’après-nihilisme tente de s’infiltrer au cœur du christianisme en galvaudant les thèmes de l’apophase et de la théologie négative, qui ne sont là que pour justifier un principe personnel de non implication dans une pensée véritable de la Substance divine.

Voilà, Monsieur, ce que je peux dire en quelques mots. Les développements et les raisons scientifiques de la mise en question de ce genre de doctrines, sont aux pages idoines de La Vérité captive.

images/icones/neutre.gif  ( 8741 )[réponse] par Lux (2010-03-22 20:40:05) 
[en réponse à 8727]

Merci beaucoup pour votre réponse.

J'ai été maladroit dans la première partie de ma question, et présente mes excuses. Ce que je voulais dire, c'est que, bien souvent, les différentes pensées catholiques aujourd'hui se basent sur une interprétation du concile Vatican II. Certains, par exemple, y ont vu une rupture, une "nouvelle Eglise". Le cardinal Lustiger a bâti une réflexion personnelle, qui a beaucoup influé le diocèse de Paris, et qui est assez particulière (dans le rapport au judaïsme, à la tradition antérieure : fidélité littérale au concile, mais refus d'admettre l'"esprit" qui put l'entourer ; refus, aussi, de certains aspects de l'herméneutique de la continuité - qui, il est vrai, n'existait pas encore à l'époque). Aussi vous demandais-je si vous pensiez que cette interprétation était liée à Jean-Luc Marion et à sa philosophie.

Plus encore (et toujours en cherchant, de tout coeur, la Vérité), je me permets de vous demander - en m'adressant à vous comme un fidèle de l'Eglise - ce que vos réflexions vous amènent à penser sur le concile Vatican II, en particulier dans les domaines encore débattus aujourd'hui : oecuménisme, liberté religieuse, liturgie (en se référent non seulement à Sacrosanctum concilium, mais aussi au nouvel Ordo missae). Tout cela, non pas dans un esprit polémique, mais pour avancer vers une meilleure compréhension nécessaire à l'unité catholique. Merci !
images/icones/neutre.gif  ( 8743 )à Lux par Maxence Caron (2010-03-22 20:57:01) 
[en réponse à 8741]

Cher Monsieur, tout ce que fait l'Eglise dans la personne du Pape ne me saurait être un sujet de discussion, je ne me sens pas capable de savoir ce que le Pape doit faire et les décisions que l'Eglise doit prendre sur ses questions. L'Eglise a reçu et garde en dépôt la Parole et le Corps de la Vérité, et elle comprend le monde selon cette grâce permanente ; je me propose quant à moi de la laisser faire, à moins d'être appelé à l'épiscopat.
images/icones/neutre.gif  ( 8747 )[réponse] par Lux (2010-03-22 21:23:09) 
[en réponse à 8743]

Permettez-moi de ne pas comprendre. Accepter tout ce que fait le pape, je le fais de tout mon coeur et de toute mon âme, mais cela n'empêche pas d'en parler ! L'Eglise, si elle n'est pas démocratique, n'a rien de despotique non plus.
La discussion est, me semble-t-il, d'autant plus la bienvenue quand les sujets sont ouverts. Le concile Vatican II laisse de nombreux points ouverts, et doit être interprété. Ce sont les voeux mêmes du pape (exprimés, par exemple, dans les statuts de l'Institut du Bon Pasteur : pour une critique constructive du concile). Dans une situation de l'Eglise si troublée et si intéressante tout à la fois, il me semble important d'apporter sa modeste (très modeste, même) contribution à la recherche de la vérité.
Il peut même y avoir des erreurs dans le magistère : il me semble qu'il y eut, au début du Moyen-Âge, un pape hérétique (arien). Cajetan déclare : "Il faut tenir tête à un pape qui déchirerait l'Eglise. Sinon, pourquoi dire que l'autorité a été donnée pour édifier et non pour détruire ? Contre un mauvais usage de l'autorité, on emploiera les moyens appropriés, en n'obéissant pas à ce qui est mal, en ne cherchant pas à plaire, en ne se taisant pas, en reprenant, en invitant les autorités à faire les reproches nécessaires, à l'exemple de saint Paul et selon son précepte". Si nous n'en sommes heureusement pas là aujourd'hui, il faut admettre que certains papes ont pu se contredire et se tromper : Paul VI, quand il déclarait solennellement que la liturgie de Saint-Pie V n'était plus celle de l'Eglise, avait tort (il contredisait la bulle Quo primum de Saint Pie V) et a été contredit par Benoît XVI dans le motu proprio Summorum pontificum.

Qu'en pensez-vous ?
images/icones/neutre.gif  ( 8750 )à Lux par Maxence Caron (2010-03-22 21:41:25) 
[en réponse à 8747]

Je pense que vous allez vite sur ces questions, notamment dans l'interprétation du récent motu proprio. Et je pense également que ce n'est pas parce que le Pape a la charité de permettre aux chrétiens de réfléchir sur un Concile que ce Concile est en lui-même critiquable. Pour ma part je n'y vois rien de critiquable et, si j'apprécie particulièrement la beauté de la liturgie tridentine, je suis attaché au sens prophétique de la liturgie de Paul VI qui n'est pas responsable de ses continuelles mésinterprétations ni des débordements d'un esprit anti-liturgique qui est possible dans tous les rites.
Par ailleurs, s'il est vrai qu'il faudrait dire "non" à un Pape qui déchirerait l'Eglise, ce sont pour le moment les hommes du commun qui, d'un côté comme de l'autre dans la raideur et l'exagération dualisante, l'ont déchirée. Et Paul VI est un grand Pape au sujet duquel on s'entend constamment à s'obséder de certaines choses.
Mais ces questions sont sans fin, ne croyez-vous pas? L'essentiel est l'amour que l'on porte à l'unité de l'Eglise qui, dit saint Augustin, comme la tunique du Christ, ne doit pas être effectivement déchirée.
images/icones/neutre.gif  ( 8756 )[réponse] par Lux (2010-03-22 21:55:01) 
[en réponse à 8750]

C'est étonnant, car autant je suis plus que convaincu par toutes vos réponses, qui entraînent l'adhésion de toute ma volonté (si bien que la lecture de Pages fut l'un des grands événements de ma vie - je n'exagère pas), autant, sur ce sujet, je ne vous comprends pas.
Je pense en effet que l'outre-modernité a pénétré dans l'Eglise : c'est ce que dénonce largement Fabrice Hadjadj dans La Foi des démons. Cela est parfois devenu blessant : on a "craché à la figure du Christ", pour reprendre votre expression ! Pour reprendre l'exemple liturgique, il est établi (en témoigne, même le récent discours de Mgr Aillet) que le rit de 1969 a conduit aux égarement les plus graves, et même à des profanations, ne serait-ce que parce qu'il est beaucoup plus flou que celui de 1962, si l'on s'en réfère au missel. Quand l'unité de l'Eglise est mise à mal, ne faut-il pas tout faire pour la retrouver ? Sont-ce vraiment des questions sans fin, ou l'un des multiples aspects de la recherche de la Vérité que vous défendez si justement ?
images/icones/neutre.gif  ( 8761 )à Lux par Maxence Caron (2010-03-22 22:05:55) 
[en réponse à 8756]

Cher Monsieur,
Merci de l'ardeur de votre questionnement et merci de vos encouragements. Comprenez que les problèmatiques que vous évoquez sont extrêmement difficiles et ne peuvent pas être résolues ainsi, dans le cadre où nous sommes. Nous y sommes condamnés à expliquer lentement des choses sur lesquelles nous sommes peut-être d'accord ou à en laisser passer d'autres sur lesquelles nous divergeons.
La recherche de la Vérité passe par un constant souci de l'Eglise, et croyez que j'ai souci de ces questions liturgiques, mais comme je vous le disais, pour que je puisse vous expliquer ce qui à mon sens constitue la dimension indépassable de Vatican II et la beauté de la liturgie issue de l'Ordo de Paul VI, il nous faudrait pouvoir longuement discuter. Peut-être cela sera-t-il possible. Peut-être nous connaissons-nous déjà d'une manière ou d'une autre, j'ai l'impression d'avoir déjà correspondu avec vous.

C'est sur cette dernière de vos questions que je laisse maintenant ce forum, dont je remercie les participants pour leur bienveillance et leur chaleureux accueil.