Le Forum Catholique

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images/icones/neutre.gif  ( 8717 )De la musique comme d'un langage par Castille (2010-03-22 11:45:50) 

(Rebondissant sur les propos de Balbula)

Monsieur, Bonsoir et Merci,

Ignorante en musique également, j'ai quelques questions que je crains idiotes, formulées de surcroit en termes inadéquats. Vous m’obligeriez en vous montrant patient. Sourire.

-Dans le langage musical s’il existe des combinaisons de notes, des accords pour évoquer les sentiments, y en aurait-il d’autres pour nous amener à imaginer une scène estivale, ou une soirée au coin du feu, ou des amoureux jouant dans les bois ?

En disant cela j’ai bien en tête ce morceau de Satie où l’on entend clairement « mimer » une dactylographe, mais ce n’est pas mon propos.

Je vois plutôt les râgas indiens : L’Occident n’a-t-il pas laissé s’éteindre ce savoir chez lui? Quand on pense qu’une mesure (est-ce le bon mot ?) peut signifier « Ma bien-aimée, rejoins-moi sous le Saule à la tombée du jour » par exemple. Comment traduire un tel sentiment ici ? On s'ébaubit souvent sur les cultures exotiques, qui auraient gardé ceci, quand nous avons perdu cela, mais, le Créateur n'a pas fait de jaloux. Nous avons bien laissé mourir des choses, sous prétexte de....lumières.

-L’humanité puisse-t-elle dans un fonds commun d’imageries lorsqu’elle pense à quelque chose ? Les mêmes causes produisant les mêmes effets, est-ce que les mêmes accords provoqueront les mêmes images dans la tête ? Jusqu’où sommes-nous d’une culture ?

-Peut-on penser que la proximité du soleil en été, agissant sur la « texture » de l’air, recouvre le son d’un voile qui en change la résonnance ?

-La musique peint et dépeint, en tant qu’observateur spécialiste voyez-vous poindre un retour à la (musique) mélodie qui pour l’instant hélas est effacée au seul profit du rythme dur, martelant, et primaire….jusqu'à la danse, où l’on voit les Lac des Cygnes se rétrécir face aux « arts » du cirque ou les Tambours du Bronx.

-Existe-t-il un rapport de causalité entre l'impiété présente et la mort de la mélodie? (ou de la poésie mélodieuse pour un texte)

Pour ce qui est du catholicisme chez Bach, je bénis le ciel que vous argumentiez dans un livre, ce qui ne m’était qu’intuition. Hélas je ne l’aurai pas reçu avant ce soir.

Merci infiniment.
et Que Dieu vous garde!
images/icones/neutre.gif  ( 8734 )à Castille par Maxence Caron (2010-03-22 20:00:01) 
[en réponse à 8717]

Chère Madame, que de diverses questions…

- Il existe, comme vous le savez sûrement, de la musique descriptive ou de la musique à programme. Cela pour la musique purement instrumentale, car la musique vocale, c’est-à-dire la musique religieuse, le lied et l’opéra, veut dire par l’émotion sise dans la mélodie ce dont il est question dans les paroles chantées, et construit par la structure harmonique tout une ambiance allant même jusqu’à suggérer, comme chez Wagner, par l’usage du leitmotiv et sa fugitive apparition en décalage par rapport à la thématique du texte, l’inconscient des protagonistes. Pour nous en tenir à la musique purement instrumentale, car je crois que c’est le sens de votre première question, il y a bien entendu de très grandes œuvres descriptives, comme la Symphonie pastorale de Beethoven, ou la Troisième Symphonie de Mahler qui décrit en six mouvements chacun des règnes de la Création avant de parvenir à la longue et lente contemplation du Créateur : les minéraux, les végétaux, les animaux, les hommes, les anges, et enfin Dieu. La musique de Beethoven en général était définie par son auteur comme description de ses émotions et de ses pensées. Ainsi, prenez une pièce aussi célèbre que la Sonate dite « au clair de lune », et vous verrez très clairement comment le premier mouvement, Adagio sostenuto, dit la douloureuse profondeur de l’amour que Beethoven voue à Juliette Guicciardi, tout ce qu’il est prêt à donner à cette femme, et la méditation mélancolique naissant de la conscience que notre cœur ne nous appartient plus mais est entre les mains d’une personne dont nous imaginons que notre bonheur dépend. Le deuxième mouvement, léger, bref et futile, est la réponse de Juliette qui n’a rien compris de ce que lui disait Ludwig dans le premier mouvement. Et, au terme de ce deuxième mouvement, explose en un sublime trait la rageuse colère de l’artiste voyant combien l’on se moque de l’authentique sincérité et de la dimension difficilement égalable de ses sentiments. Les exemples peuvent être multipliés chez Beethoven. Vous pouvez entendre cette sonate, ainsi qu’une autre sonate descriptive de Beethoven, appelée « Pastorale » comme sa Symphonie, en cette internautique place :
Vous avez également chez Brahms, dans une optique théologique, sa Troisième Symphonie qui est une peinture de la Trinité créatrice et dont je restitue le sens dans mon recueil Pages (éd. Séguier). Un dernier exemple : le deuxième mouvement de la Huitième Symphonie de Beethoven décrit le comportement monomane du métronome qui venait d’être inventé…

- Je ne crois pas du tout d’une part que les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets, d’autre part qu’en ce qui touche à la sensibilité les mêmes images soient provoquées par les mêmes sonorités ou les mêmes phrases musicales. Comment pouvez-vous imaginer une sensibilité équivalente chez chacun quand au sein d’une même personne les mêmes émotions ne seront pas suscitées par l’écoute d’un même morceau à deux moments différents ? Votre question reflète une anxiété, celle de ne pouvoir maîtriser le mystère musical, et pour cela de le vouloir donner des normes théoriques de compréhension. Si la chose est possible, ce n’est certes pas par ce biais normatif.

- Je ne vois poindre en matière d’art, chère Madame, aucun retour à quoi que ce soit.

images/icones/neutre.gif  ( 8752 )Veuilez excuser de n'arriver que maintenant par Castille (2010-03-22 21:47:16) 
[en réponse à 8734]


Comment pouvez-vous imaginer une sensibilité équivalente chez chacun quand au sein d’une même personne les mêmes émotions ne seront pas suscitées par l’écoute d’un même morceau à deux moments différents ?



Je ne prétendais le contraire. Encore, il me semble que les émotions varieront mais au sein d'un même creuset. Les moments peuvent être différents dans le morceau et l'émotion pareille chez l'écouteur. Ou les émotions différentes chez l'écouteur pour le même moment dans le morceau. Les possibilités sont multiples mais elles restent finies, ainsi un morceau qui appelle des images de la nuit, peut-il tout soudain se mettre à en provoquer des diurnes?

Je n'avais pas à l'esprit une imagination sériée, qui serait égale pour tous. Car bien sûr les gens changent déja à l'intérieur d'eux-mêmes à chaque instant, et la somme de ces changements donnent un pays, une civilisation. Et pour une même personne chaque écoute déja est différente de la précédente. Oui, mille fois.

Un même morceau écrit pour évoquer la nuit, peut-il faire penser au jour, dans certains esprits. Cela s'est-il déja vu?

Ainsi nous sosmmes condamnés à devenir ces "peuplades sans musique" dont parlait Brel? C'est une bien triste perspective.

Merci de votre réponse, Monsieur.
images/icones/neutre.gif  ( 8755 )à Castille par Maxence Caron (2010-03-22 21:51:53) 
[en réponse à 8752]

Vous posez la question de Mallarmé concernant la valeur contradictoirement musicale de la sonorité des mots : Mallarmé trouvait que le mot "nuit" avait une connotation diurne, et que le mot "jour" résonnait nocturne. Tout l'effort poétique consiste à unir le son et le sens ; de même en musique, mais en un autre langage.