Le Forum Catholique

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images/icones/info3.gif  ( 8714 )la musique sacrée par Marie-Alix Doutrebente (2010-03-21 21:09:56) 

Cher Monsieur,

Merci de venir nous élever en nous consacrant ces quelques heures.

Je vous ai écouté comparer les musiques d'aujourd'hui et celles
des immenses artistes comme JS Bach.

Que pensez-vous de la musique qui accompagne la liturgie aujourd'hui et en particulier tout ce qui est édité par les éditions de l'Emmanuel ?
Les catégoriseriez-vous dans cette critique que vous avez faite sur radio Notre Dame, lorsque vous dites :
"au sein du catholicisme...dans certains groupes de prière...on vous fabrique des morceaux exprès pour vous entraîner vers une certaine forme de sensibilité, pour vous fidéliser en vous faisant croire que vous sentez Dieu, que vous sentez une émotion dans le morceau. C'est assez triste d'en arriver là...Quelle différence avec le chartreux qui lui a eu une liturgie qui doit précisément ne rien lui faire sentir du tout pour pouvoir être entièrement concentré sur ce qu'il dit au moment où il est à l'office...
Cette musique nous détourne t'elle du sens ?

Pensez-vous qu'il puisse exister des musiciens qui aujourd'hui pourraient écrire des cantiques qui donne du sens et qui élèvent les âmes ? des mélodies qui entraînent les foules sur les sentiers divins ?

Quand vous parlez du Chartreux qui chante une antienne grégorienne, ne croyez-vous pas que sa sensibilité est à ce moment-là orienté vers ce pour quoi elle est faite puisque la mélodie grégorienne n'existe que pour expliciter le sens, à savoir l'adoration et la sanctification ?

Merci par avance pour vos réponses.

images/icones/neutre.gif  ( 8731 )à Marie-Alix Doutrebente par Maxence Caron (2010-03-22 19:50:39) 
[en réponse à 8714]

Chère Madame,
La question que vous posez est fort vaste, car elle soulève le problème de la possibilité d’une culture chrétienne aujourd’hui. J’ai bien mon avis sur la question, mais il nous entraînerait un peu loin.
Je réponds rapidement à vos questions.
Mon allocution radiophonique ne visait pas de communauté religieuse en particulier, mais plutôt des tendances jeunières qui s’appuient sur les atmosphères de certaines de ces communautés religieuses (parfaitement louables en elles-mêmes et à qui l’on doit beaucoup), afin de détourner leur message en s’enfonçant dans l’émotionnalisme et penser le moins possible, et afin de se faire croire qu’ils sont très chrétiens tout en ayant la satisfaction de se dire qu’ils se peuvent compromettre avec l’époque. Ils ménagent ainsi le bouc et la rose.
Le côté JMJ-rock’n roll m’est assez pénible, mais il se trouve que la « musique » pop-catho développée dans ces atmosphères contribue à tourner malgré tout les gens vers le sens. Tous les chemins mènent à Rome, et en cela, je ne saurais condamner ni dire que détourne du sens ce qui m’est pourtant, esthétiquement, un effroi. Je déplore, en revanche, comme je le disais, qu’il en faille arriver là, car la chose souligne toujours un peu plus le gouffre de l’époque.

Je réponds à votre deuxième question. Je ne crois pas à l’existence aujourd’hui du moindre compositeur. Le Seigneur peut toutefois se susciter un chantre ; l’avenir est donc toujours ouvert dans la grâce de Dieu. Mais le grand mystère me demeure celui-ci : les chantres du Seigneur sont peut-être précisément ces chantres de la pour moi difficilement audible mais objectivement et apostoliquement utile musique qui n’a rien à voir avec l’art. Aujourd’hui, si Dieu passait par l’art pour quérir une âme, l’Eglise ne serait constituée que de quelques esthètes passéistes et dissertatifs. Ce n’est assurément pas ce que se propose le Salut incarné. Aller chercher la brebis égarée est une activité qui de nos jours requiert peut-être que le Pasteur des âmes passe par le simplisme des cacophonistes après être passé, aux époques brillantes et belles par le génie.
Le génie s’adresse à certaines personnes : qu’elles soient heureuses d’y comprendre quelque chose et conscientes qu’elles ne comprennent pas tout. La « musique » épouvantable s’adresse à d’autres personnes qui n’ont pas eu l’heur d’être éduquées dans les milieux bourgeois et feutrés, et, comme la société contemporaine ne leur a ensuite rien appris qui ne prend plus le relais d’aucune carence, leur sensibilité ne parvient pas à comprendre l’art.
Aussi fou que cela puisse paraître, les musiciens que Dieu se suscite sont donc peut-être ceux qui me brisent les oreilles. Les chemins de Dieu ne sont pas forcément là pour nous plaire dans l’immédiat. Et j’accepte d’un cœur joyeux que s’agrandisse la Communion des saints et que l’on n’écoute moins Beethoven. S’il est malheureux de ne pas connaître Beethoven, et de ne pas aller à la pensée de Dieu par Beethoven, il est plus important pour les âmes de connaître Dieu que Beethoven. Si l’accroissement du Salut passe par la décadence de l’art, il faut se souvenir avec saint Paul que là où le péché abonde – ce dont la mort de l’art est une illustration – la grâce surabonde.