Le Forum Catholique

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images/icones/neutre.gif  ( 8711 )Théologie et philosophie par Lux (2010-03-21 17:31:56) 

Monsieur,

Notre époque voit de nombreux "philosophes" placer tout ce qui concerne Dieu du côté de la théologie. Par là, conformément à ce que vous ne cessez de dénoncer, ils mettent la philosophie du seul côté de l'immanence. Cela les conduit à dénaturer complètement Saint-Thomas d'Aquin, par exemple, en divisant son oeuvre de façon totalement arbitraire - même s'il est vrai que le docteur commun mélange souvent sa démarche raisonnable à des données de foi. Par là aussi, ils refusent qu'un catholique fasse de la philosophie sans mettre de côté sa propre foi - ce qui est, bien sûr, ridicule. A l'inverse (mais plus rarement, il faut en convenir), certains catholiques voient dans la réflexion purement philosophique quelque chose d'inutile, ou même de dangereux, en ce qu'elle risque de venir contredire la foi. A notre époque, donc, comment caractériseriez-vous la différence entre philosophie et théologie ? Et à quelles conditions pensez-vous que les deux disciplines puissent, ou doivent dialoguer ?

Merci !

Lux
images/icones/neutre.gif  ( 8728 )à Lux par Maxence Caron (2010-03-22 19:21:03) 
[en réponse à 8711]

Vous soulevez un vaste et passionnant débat. Il est difficile de répondre en quelques mots.
Passionnant, du moins l’était-il quand se tenaient quelques personnes d’envergure pour ne point sombrer dans la rigidité de dualismes imbéciles, dont vous soulignez, à juste titre cette fois, l’envahissante rémanence. Des débats sont-ils encore intéressants lorsqu’ils ne sont plus des débats et que tous ou presque ont déjà une idéologique solution, chimique, programmée petite, la plus volontairement châtrée possible, afin de ne plus se donner les moyens de répondre à cette belle injonction de Bossuet qui, le christianisme résumant, nous demande, en matière de pensée chrétienne, de tenir constamment ensemble les deux bouts de la chaîne, aussi contradictoires puissent-ils paraître. Car c’est en tenant au sein d’une pensée même, ce qui paraît d’abord contradictoire, que l’on accède à la pensée vraie. Et la pensée chrétienne est à ce prix, qui est la plus profonde car demandant d’aller au plus loin chercher l’unité que l’esprit ne cesse de montrer et l’univers de manifester malgré les déchirements dans un domaine comme dans l’autre. La Croix elle-même montre combien à ceux qui voudront penser il faudra prendre sur soi de penser au plus loin, en dehors de toute présupposition. Elle est le « Signe de contradiction », et elle est pourtant ce qui unit la Création blessée par nos errances volontaires et complices.
Parmi les dualités prépensées et préjugées, il y a celle de la théologie et de la philosophie, de la foi et de la raison. Des siècles entiers de méditation fructueuse sur la question – fructueuse c’est-à-dire ayant abouti à des réponses, toute atmosphère CNRS étant exclue –, sont aujourd’hui insus. Il y a néanmoins la parole de l’Eglise pour nous en rappeler le dit et les fondements, et à ce titre, j’aime particulièrement l’Encyclique Fides et ratio du très grand Jean-Paul II, qui rappelle combien l’unité de la foi et de la raison sont précisément la pensée chrétienne, et la pensée tout court.

A ce titre, je tiens à préciser, et je réponds ainsi à votre question, que la part spéculative de mon travail n’est pas celle d’un théologien, mais d’un philosophe qui, contrairement à ce que croient les opinions des penseurs de rue, ne présuppose rien. Ce n’est pas parce que j’aboutis au christianisme que je commence par le christianisme. Si la religion chrétienne est la Vérité, ce n’est point là ma faute. Et la démarche de mon travail consiste précisément à ne rien préjuger du tout afin de laisser la pensée s’élever d’elle-même à ce qu’elle contient.
« La Vérité captive », ainsi, utilisant pour cela la même sobriété méthodologique que celle mise en œuvre dans mon gros ouvrage sur Heidegger, ne part que d’un fait : la pensée. La pensée est réflexive : comment est-il possible que la pensée soit capable de réflexivité, au point que je sois capable, homme, de me poser même cette question ? A partir de ce point de départ minimaliste et qui dit tout simplement « je pense », à la recherche de la possibilité de ce fait, éliminant toutes les solutions précisément présupposantes, je vois apparaître les conditions d’un tel miracle : l’homme pense selon les termes de la réflexivité. Et ces conditions, qu’y puis-je ?, me font parvenir à des vérités formelles que la Révélation chrétienne a elle-même manifestées sous une forme accomplie. Aller de l’un à l’autre donne un processus qui construit en toute rigueur la philosophie une fois pour toutes et la fonde définitivement après tant d’errance.
La philosophie est ainsi appelée formellement – de par sa structure même, et par-delà sa continuelle divagation lorsqu’elle veut éviter la Vérité pure – au contenu que la Révélation biblique vient remplir. Evidemment, c’en est trop pour les philosophes, et c’est trop peu pour les théologiens, ou inversement. Mais c’est à ce prix qu’un système de la philosophie est possible, et que la philosophie sera fondée, sans rien omettre de ce qui constitue l’humain. C’est ainsi, ou pas de philosophie. Et les remarques antithétiques et croisées des matérialistes d’un côté, des fidéistes de l’autre, n’y pourront rien.

La raison parvient très rationnellement à la nécessité d’adopter un nouveau mode de connaissance, la Foi, qui n’a rien à voir avec la « croyance », car la Foi n’est pas subjective ; elle est l’adhésion de la pleine volonté au lieu de Vérité que la raison a désigné. La raison est ainsi l’ombre ou la face cachée de la lumière que la foi apprend à voir en creusant dans l’espace d’un mystère qui n’est plus énigme mais Amour, c’est-à-dire mystère de l’Amour par lequel la Différence fondamentale du Dieu transcendant franchit gratuitement sa Béatitude pour transmettre Son Image à une créature, l’homme.

Si La Vérité captive s’achève par un poëme, c’est précisément pour montrer que le passage d’un mode de connaissance à l’autre s’accomplit, et ce passage s’accomplit sans rupture, car le poëme est préparé par le texte qui le précède, il y frémit déjà. Et la littérature, c’est-à-dire la musique des mots, la littérature qui, même romanesque doit contenir une dimension poëtique (c’est ainsi à brouiller les pistes tout en faisant vibrer une lyre neuve que s’emploie Microcéphalopolis, l’un de mes ouvrages les moins compris à l’exception de tous les autres), la littérature est là pour réinventer par analogie la manière de suggérer et faire sentir à toutes les facultés de l’âme, dans la sonorité et la pensée mêlées, dans le concept et l’image entrelacés, le lieu de la Vérité. Elle est une manière d’habiter la foi : voyez les Confessions de saint Augustin, qui est l’acte littéraire même dans sa pureté, mêlant sans distinctions universitaires artificielles la philosophie, la poésie autrement dit la musique (à travers le rythme des phrases de celui dont on oublie qu’il fut formé à la rhétorique à travers Virgile et Cicéron), la théologie bien évidemment, la Foi. Voyez tout l’œuvre de Claudel. Etc.