Le Forum Catholique

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images/icones/hein.gif  ( 7775 )Y a-t-il encore un espace sacré ? par Ennemond (2009-05-25 18:29:55) 

Quand on voit que le Saint Sacrement est tantôt à gauche, tantôt à droite, que l'autel est parfois dans le choeur, parfois dans la nef, qu'autour les chaises sont tantôt alignées, tantôt en cercle (je pense à l'église des Jésuistes de la rue de Sèvres), ne peut-on pas déduire que l'espace du sacré n'a plus aucune réalité pour nos contemporains ?
images/icones/neutre.gif  ( 7806 )[réponse] par Marc Levatois (2009-05-25 22:44:14) 
[en réponse à 7775]

Merci de votre question, qui nous ramène à l’interrogation fondamentale sur l’existence d’un espace sacré.

Il est évident que pour la frange la plus « avancée » des liturgistes qui ont commenté et mis en normes Inter Oecumenici, il ne devait plus y avoir d’espace sacré. C’est le mot d’ordre du célèbre article du Père Antoine, jésuite, en 1967, déjà cité par François-André Isambert et qu’il m’a paru intéressant de reprendre.

Votre perspective est de déterminer si, à partir de ses critères propres, on peut estimer qu’un espace a perdu son caractère sacré. Elle est essentielle. Il me semble, à partir de l’approche du sacré menée depuis le début du XX° siècle par les sciences humaines, que les deux déterminants les plus nets du sacré sont sa séparation du monde profane et son orientation. De ce fait, les églises caractérisées par une indétermination totale entre la nef et le sanctuaire, parfois au même niveau, et par un décor totalement homogène au monde profane environnant ont perdu beaucoup de leur sacré. De même, la démultiplication des centres de l’action liturgique (autel, tabernacle, ambon, siège sacerdotal, pupitre de l’ « animateur », etc.) va dans le sens d’une dilution de l’orientation, sans doute au-delà de la seule célébration face au peuple.

La disposition des fidèles en cercle pose, en soi, un réel problème car, dans le cas d’un dispositif entièrement centré, il n’y a pratiquement plus d’orientation, sauf à la matérialiser par une croix, ce qui est parfois réalisé. Il est alors intéressant de rappeler que le processus de désacralisation volontaire des églises transformées par la Réforme calviniste, notamment dans la cathédrale de Genève, l’a été par l’adoption systématique d’une structure centrée et le choix d’une implantation de l’assemblée totalement indéterminée par rapport à l’emplacement de l’ancien jubé. Il est toutefois difficile – et il faudrait ici une théologie de l’espace – de traduire cela en relation nécessaire et suffisante avec la Réforme. En effet, dans certaines villes du monde occidental, les seuls lieux de cultes ayant conservé uns structure orientée sont souvent d’obédience luthérienne ou anglicane, à la différence des églises catholiques.

Je ne sais réellement si cette idée d’espace sacré n’a plus de sens pour nos contemporains, ce qui pourrait nous ramener à la crise de la modernité. Il est sûr toutefois que l’influence de tel ou tel type d’espace peut être notable sur la conception du sacré de ceux qui l’habitent ou le fréquentent.

Bien cordialement.
Marc Levatois