Le Forum Catholique

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images/icones/hein.gif  ( 7770 )Bravo pour votre livre et quelques questions ! par Athanase (2009-05-25 16:13:16) 

Ayant lu quasimment d'une traite votre livre, je tenais à vous adresser mes félicitations pour la clarté et le ton peu polémique. Je recommande votre livre à des gens peu introduits à la question liturgique. Ad extra, il peut parfaitement familiariser de gens à la question. C'est l'un des frand mérites de votre ouvrage, par ailleurs pas très long.

Pour ma part, j'aurais quelques questions à vous poser :

1) Quand vous décrivez les expérimentations des années 50, en rien vous n'insinuez en rien qu'elles devaient aboutir à des réformes plus radicales. A titre d'exemple, vous dîtes que la très moderne église de Ronchamp (1955) comprend aussi des autels latéraux, bref occasion propices à des messes privées. La question que je pose est la suivante: une réforme modérée était-elle possible ? Pouvait-on conserver le latin, tout en offrant une place plus importante au vernaculaire ? Or, en 1965, on reste encore à une réforme modérée. Il n'est nullement question d'un abandon radical du latin.

2) Vous dîtes qu'à la fin des années 80, la FSSPX se concentre davantage sur des critiques doctrinales. La querelle liturgique n'a-t-elle pas été en fin compte été le prétexte qui permet de masquer des controverses plus profondes et apparemment insurmontables ? Pensez-vous qu'un certain assouplissement liturgique permet également d'assouplir certaines critiques doctrinales si l'on part de l'idée qu'il s'agit de deux perspectives complémentaires ? Quel est votre avis ?

3) La réforme liturgique est liée à un certain état de la modernité. Or, aujourd'hui, avec la crise, nous vivons la modernité désenchantée (chômage massif, épuisement des ressources, crise de la famille, etc.). Nous ne sommes plus dans l'ère dynamique des Trente glorieuses. Je rappelle en effet que vous faites de l'année 1965 une année charnière. C'est en effet l'année où la génération du Baby boom arrive dans la vie adulte, celle où les femmes entrent massivement dans le monde du travail. Or, en 2009, les critiques adressées au Pape Benoît XVI ont lieu sur fond de société en crise. Peut-on établir un parallèle entre cette modernité désenchantée, les virulences des critiques et cette volonté de reprise en main ? Peut-on imaginer que Benoît XVI arrivera à influencer cette société en crise ?

Désolé de la longueur de mes questions et, par avance, merci pour vos réponses !
images/icones/neutre.gif  ( 7792 )[réponse] par Marc Levatois (2009-05-25 21:11:23) 
[en réponse à 7770]

Merci de votre message et de vos encouragements. Le caractère de vulgarisation du livre n’est pas fortuit ; il correspond à une volonté de l’éditeur. Personnellement, je pense qu’il y a intérêt à diffuser dans le public sur ce thème, ce qui permet une prise de conscience et de relancer un débat qui a été auparavant entravé.

Sur la question de la langue liturgique, il est évident que dans la logique de la constitution conciliaire il s’agissait de faire une place seulement plus grande aux langues vernaculaires dans la célébration. L’article demandé par Paul VI pour préparer l’opinion à l’abandon du latin pour le canon est sans doute un argument en ce sens. Je laisserai aux liturgistes la compétence sur la possibilité, au lendemain du concile Vatican II, d’une réforme modérée. Le missel publié en 1965 et la déception, plus tard, des liturgistes de l’école du cardinal Antonelli sont souvent évoqués dans cet ordre d'idées. Pour rester dans le domaine que j’ai voulu aborder, il est évident que la généralisation de l’usage de la langue habituelle, associé à un mode de langage plus parlé qu’incantatoire, lui-même facilité par le micro et la sonorisation, est allé de pair avec une transformation de l’espace liturgique pour que celui-ci adopte, par le face à face continuel, une structure adaptée à cette forme dialoguée.

La restructuration des églises dans les années soixante a sans doute été un révélateur de modifications non seulement des normes du « faire » catholique mais aussi d’un contenu doctrinal, au moins implicitement. On peut le penser en raison de la force inhérente au cadre spatial, qui façonne nos comportements et nos mentalités. Je ne saurai aller au-delà sans empiéter sur le terrain des théologiens. On peut aussi penser, parallèlement, que la réintroduction même ponctuelle de l’ancienne façon de célébrer dans les églises, telle que la rend possible l’évolution du droit, surtout depuis 2007, permet de dépasser certaines oppositions, au moins dans ce qu’elles ont d’irrationnel. Du point de vue du débat, qui était celui du livre, ces expériences, pour peu qu’elles soient bien organisées, me paraissent très fécondes. Elles permettent également de nous situer dans un changement actuel de générations où les hommes et les femmes qui ont « fait » l’après-concile sont en train de laisser à d’autres leurs responsabilités dans les paroisses. Au sein des nouvelles générations, les a priori sont beaucoup moins forts. Cela joue aussi. L’idée de la complémentarité des deux approches liturgiques, que vous évoquez, est sensible dans la lecture que l’on peut faire du motu proprio de juillet 2007. Elle est aussi vécue par un nombre croissant de personnes pieuses qui assistent à la messe quotidiennement et « panachent », en milieu urbain où cela est possible, les deux forment du rite romain. Les témoignages en ce sens sont actuellement assez nombreux.

La référence que vous faites à la modernité est aussi essentielle. Il est évident que la réforme liturgique des années soixante est profondément marquée par la modernité. Le fonctionnalisme marque la restructuration de l’espace liturgique et la volonté de simplification des rites n’est pas dénuée d’intentions rationalisantes. L’accent quasi-exclusif mis sur la compréhension littérale dans l’approche de la langue liturgique va aussi dans ce sens. Il est aussi à peu près sûr que l’Eglise a achevé ce mouvement de réforme dans une société où déjà, à partir du début des années soixante-dix, commençait à poindre la post-modernité, ou cette crise de la modernité à laquelle vous faites référence. Bien que les structures spatiales héritées d’ Inter Oecumenici n’aient pas été remises en cause, le regard actuel sur l’espace sacré n’est plus celui des années soixante. La recherche des conditions d’une certaine intériorité est notamment manifeste. La question est alors de savoir en quoi une approche différente – pour simplifier, celle d’une expérience du modèle « extraordinaire » ou d’un projet de « réforme de la réforme » tel qu’il est entrevu dans L’esprit de la liturgie - peut être conçue comme adapté à une société post-moderne ou être située elle-même dans la post-modernité. La réponse est alors complexe. Certains éléments ont été apportés sur ce sujet lors des rencontres de Fontgombault en 2001, sous la présidence du futur Benoît XVI. La crise économique en cours a-t-elle atteint un niveau tel qu’il puisse y avoir consensus rapide pour une remise en cause des modes de vie modernes ? Je n’en suis pas sûr. L’occurrence si fréquente, comme norme, de l’adjectif « moderne » dans nombre de discours politiques actuels permet d’en douter à courte échéance mais là s’arrêtent mes compétences.

J’espère avoir répondu, au moins en partie, à vos attentes.
Bien cordialement.
Marc levatois