Le Forum Catholique

Cher monsieur;

Vos écrits montrent un attachement - oserais-je écrire une nostalgie ? - de la société dite d'Ancien régime, enfin d'une société structurée en ordres, en harmonie pour tout dire. Cette société a cependant souvent été solidaire d'injustices et de misères en tout genre.

Ainsi, vous connaissez la doctrine catholique de la destination universelle des biens, qu'il faut harmoniser avec un autre principe fondamental - mais subordonné - qui est la propriété privée, doctrine qui rend impossible la soumission à une société organisée en castes trop inégalitaires ou à l'ultralibéralisme ravageur. Quelle serait votre façon de décrire ce fonctionnement ?

Ensuite, dans votre laudation de la monarchie, je sens poindre, peut-être à tort, l'augustinisme politique. Comment tiendriez-vous compte, dans une doctrine politique, de l'inévitable imperfection des sociétés d'ici-bas ?

Autre facette de la même question : que retenez-vous de légitime dans l'aspiration démocratique, ou dans le libéralisme (politique) moderne ? On sait qu'un Maritain a su tirer de son catholicisme intransigeant de bons arguments pour justifier une certaine forme de démocratie, et il est clair que l'appel au respect de la liberté et à la responsabilité sont ancrés dans le meilleur personalisme chrétien - celui qui est déjà en germe chez saint Thomas.

Enfin, sur tous ces sujets, comment envisagez-vous, d'une part l'avenir d'une réflexion en théologie politique, d'autre part l'action politique à mener dans une optique de reconstruction de chrétienté ? - sachant que, vous en tomberez d'accord je pense, le versant principal de cette lutte pour la reconstruction est l'évangélisation.

Je remercie de l'attention que vous voudrez bien prendre à répondre à ces maladroites questions. Respectueusement;
NéoAthanase.

Cher NéoAthanase,

Toutes les sociétés sont imparfaites. Un des principes d’une politique sagement conservatrice est que l’on ne peut établir le paradis sur terre.

Le défaut de la société moderne n’est pas d’être imparfaite, mais de ne plus être une société, d’être une « dissociété », comme dit Marcel de Corte. En un sens, il n’y a de société que traditionnelle. La société moderne n’existe pas.

Oui, je connais la doctrine catholique (et thomiste) de la destination universelle des biens, souvent oubliée par les conservateurs anglo-saxons.

Pourquoi sommes-nous si nombreux à être terrorisés par la liberté et la responsabilité? PARCE QUE NOUS SOMMES SEULS! Selon Russell Kirk, le célèbre penseur politique américain, le choix véritable ne se situe nullement entre le capitalisme et le socialisme, mais entre une société traditionnelle, c’est-à-dire une société cimentée et vivifiée par un héritage religieux, moral et politique, et un collectivisme voulant instaurer une solidarité «gratuite, laïque et obligatoire» sans qu’interviennent l’amour et la vertu de personnes vivantes et incarnées.

Quant à l’aspiration « démocratique », je suis d’accord avec vous. Le peuple est souvent un meilleur gardien des vérités fondamentales de la vie en société que l’intelligentsia. Tous les régimes doivent avoir des traits monarchiques, aristocratiques et démocratiques. C’est la démocratie pure qui est le mal et la mort.

D’accord également sur l’évangélisation. Mais chacun sa vocation. Je me mets dans une perspective politique, tout en reconnaissant, à rebours de plusieurs conservateurs, la nature essentiellement morale de la politique.

J’aurais aimé répondre plus longuement à vos questions, mais je ne peux y mettre trop de temps.
Jean Renaud

Cher M. Renaud;

Je vous remercie de vos réponses brèves mais denses. Cela m'encourage à lire vos oeuvres et articles.
Catholiquement vôtre,
NéoAthanase.