Le Forum Catholique

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images/icones/vatican.gif  ( 1557 )"Franchissement positif" par Tibère (2007-01-18 14:56:44) 

Monsieur l'abbé,

Vous avez utilisé dans nombre de vos écrits et de vos interventions la formule de "franchissement positif" pour caractériser la période qui se déroule depuis les dernières années du pontificat de Jean-Paul II jusqu'à aujourd'hui.

Comment voyez-vous la situation évoluer tant sur le plan liturgique que sur le plan du "retour au magistère" alors même que, d'une part, le Motu proprio tant attendu tarde à venir et est environné de nombreuses critiques, et que, d'autre part, les forces de dissolution de l'Eglise ne semblent pas faiblir ?

Merci en tout cas pour vos livres et vos articles dans Catholica : ce sont des mines d'or pour nourrir la réflexion en temps de crise.
images/icones/neutre.gif  ( 1596 )Le réformisme ratzinguérien par Abbé Claude Barthe (2007-01-22 19:00:17) 
[en réponse à 1557]

Plus précisément, j’ai utilisé la formule de « franchissement positif » pour caractériser le réformisme ratzinguérien – celui du cardinal devenu pape et celui des théologiens proches de lui. C'est-à-dire que, ni en matière de théologie, ni plus généralement, il ne s’agit pour eux, au moins volontairement, d’un retour à Pie XII. Autrement dit, on ne saurait attendre de leur part, purement et simplement, la fermeture de la parenthèse qu’aurait représentée la réforme liturgique et le Concile en ce qu’il a de plus conciliaire. Spécialement en liturgie, si cette parenthèse en venait à être fermée (par exemple, publication d'un missel de Benoît XVI, avec canon I, offertoire sacrificiel, célébration vers le Seigneur, remplaçer le missel de Paul VI), la parenthèse serait fermée de facto, en remettant à plus tard les questions posées par les débats doctrinaux de fond sur le missel de Paul VI. Le ratzinguérisme cherche quelque chose comme une synthèse des positions affrontées, avec une relativisation de la position «progressiste» tout en conservant une part de ses apports. Cela vaut en liturgie, dans les projets de réforme de la réforme. J’ai eu l’occasion de dire que cette tentative de franchissement positif était parallèle à celle que Joseph Ratzinger, Ignace de la Potterie, Henri de Lubac, Balthasar, ont menée contre l’historicisme de la critique biblique rationaliste :l’héritage de la critique biblique n’est pas rejeté, mais relativisé et intégré dans une conception plus vaste de l’inspiration.
Si ce processus se confirmait, il aurait l’avantage de provoquer une espèce de déséquilibre de l’édifice idéologique conciliaire (je ne dis pas de tout le Concile en tous ses textes, je dis du Concile comme idéologie).
Un deuxième moment, qui n’est pas impensable à moyen terme, du «retour du magistère» pourrait être d’apporter officiellement et magistériellement des précisions qui changeraient le contexte d’une proposition. Je prends, sans entrer dans le détail, un exemple en m’appuyant sur les écrits du P. Morerod, professeur à l’Angelicum : le décret sur l’œcuménisme parle de « hiérarchie des vérités » dans un contexte qui laisse penser qu’il peut exister une « foi commune » avec les séparés sur certains dogmes fondamentaux, tout en laissant tomber des moins importants. Contre cette interprétation portée par le contexte du décret conciliaire, une explication officielle pourrait, en se fondant sur saint Thomas, montrer qu’en effet certains dogmes (l’Immaculée conception) dépendent d’autres (la Maternité divine). Elle rappellerai que ne pas croire au plus petit d’entre les dogmes, si l’on peut dire, c’est faire naufrage dans la foi. Mais elle dirait que le fait d’expliquer leur généalogie est une moyen de les faire tous accepter par les chrétiens séparés. Autrement dit, on transformerait un texte relativiste en texte missionnaire.
Ce ne serait qu’un début.
Quant aux forces de dissolution de l’Église, il est vrai qu’elles dissolvent plus que jamais. Il faudra tôt ou tard en venir au moment de vérité : ce sera l’autre aspect (la condamnation ou son équivalent) du retour au dogme. Ce qu’on demande en permanence aux traditionalistes – qu’ils donnent des preuves qu’ils sont « en communion » – il faudra bien, et le plus tôt sera le mieux, le demander à tel professeur parisien qui pervertit la doctrine d’Humanae vitae, à tel curé qui ne croit pas à l’enfer, à tel évêque qui déclare que l’Église n’a pas a donner de directives engageant les consciences. L’Église ne peut pas se passer de frontières positives (il faut croire ceci = dogme) et négatives (qui ne croit pas ceci ne fait plus partie de l’Église).