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Le Forum Catholique

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Yves Daoudal -  2009-03-09 18:33:59

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Voici un extrait d’un texte que j’avais écrit pour un livre collectif sur Guénon. Je pense qu’il répond à votre question.

Depuis lors je n’ai pas relu Guénon. Il serait aussi stupide de dire que je l’ai “renié” que de faire de moi un “gnostique guénonien” infiltré dans l’Eglise pour la détruire (ce qui est aussi délirant qu’absurde, mais je le dis parce que cela a été écrit). Je ne conteste pas ce que Guénon m’a apporté sur le plan intellectuel, et dans l’approche spirituelle du christianisme. Mais je crois qu’il s’est trompé en établissant un schéma universel de toutes les religions basé sur la distinction ésotérisme-exotérisme.
Comme malgré ses recherches il n’avait pas trouvé de survivance d’un ésotérisme chrétien, il considérait que le christianisme n’était plus qu’une forme religieuse déconnectée de ses liens vitaux avec ce qu’il appelait la Tradition (et qu’on n’atteint que par une “initiation” distincte des rites religieux). Je crois au contraire que, le christianisme étant la religion “des derniers temps”, Dieu a mis, en quelque sorte, “tout sur la table” pour ramener les hommes à lui. Il s’est fait homme, en la personne de son Fils, qui a été cloué et transpercé sur une croix pour que chacun puisse venir “puiser aux sources” du Sauveur. De ce fait les premiers sacrements, le baptême et la confirmation, sont très réellement, comme le disaient les pères de l’Eglise, les sacrements de l’initiation. Et la messe est à l’évidence un rite initiatique, mais ouvert à tous : il s’agit à la fois d’un sacrifice comme l’ont connu toutes les religions “exotériques” dignes de ce nom, et en même temps d’un sacrifice sous forme symbolique, comme dans certains rites initiatiques, mais ce symbole est la réalité même de ce qu’il signifie (à savoir Dieu qui se donne à manger à l’homme pour “s’incorporer” l’homme, pour que l’homme devienne Dieu, pour qu’il devienne réellement, et non de façon frauduleuse par le péché originel, “l’un de nous”, selon la formule de la Genèse).
Sachant ce que je dois à Guénon, je ne conseillerai certainement pas aux jeunes “en recherche” de ne pas lire Guénon. Mais ferai deux mises en garde.
La première a rapport au caractère “fascinant” de Guénon, qui tient à son ton péremptoire, à son style revendiqué comme “impersonnel” et d’une absolue perfection, et bien entendu à la suréminente qualité intellectuelle de ce qu’il écrit. Mais il faut toujours se méfier de ce qui est fascinant. C’est le regard du serpent, qui est fascinant pour sa proie. Je ne veux pas dire par là que Guénon soit diabolique. Comme il l’a remarquablement écrit lui-même, le serpent, comme tous les symboles, est ambivalent : il est le diable de la Genèse, et il est le Christ sur la croix (parce que le serpent cloué par Moïse sur le bois guérissait les Hébreux qui le regardaient). Je veux seulement dire qu’il faut veiller à conserver ses facultés de discernement.
L’autre mise en garde est dans le prolongement de la première. De nombreux lecteurs de Guénon sont tellement fascinés par cette lecture qu’ils deviennent des perroquets. Des perroquets intelligents, certes, et qui peuvent devenir eux-mêmes fascinants. Mais la démarche est vaine. Réciter Guénon, expliquer Guénon, gloser sur Guénon, c’est se comporter comme l’aventurier qui connaît par cœur les cartes d’état-major mais n’est jamais sorti de chez lui. Il ne sert à rien de faire ses délices intellectuelles de Guénon et d’attendre que vienne subrepticement, d'on ne sait quel centre secret d'un Orient mystérieux, le grand initiateur. La vie est trop courte pour vouloir demeurer dans cette impasse. L’ascension spirituelle suppose de sortir du jeu des neurones, de la théorie, pour s’engager dans une voie “concrète”, à savoir une pratique. Ce qui est assurément plus difficile à vivre. Mais, pour le coup, ce n’est pas Guénon qui me démentirait.
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