Une longue réflexion

Le Forum Catholique

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Abbé Claude Barthe -  2007-01-22 19:17:39

Une longue réflexion

Puisque vous m’avez connu jadis, Cher Candidus, vous savez que j’ai toujours refusé parce qu’infamante et réductrice, l’étiquette de «sédévancantiste» (qui recouvre un contingent de sérieux excités). De même, que je n’ai jamais considéré avoir des « fidèles ». Troisième préambule : il n’y a pas de « position ecclesiadeiste », le monde ED étant on ne peut plus divers théologiquement.
Mais je ne cherche pas à tourner autour du pot.
Sur la question de la messe et des sacrements, vous vous souvenez peut-être que je m’étais chargé, dans la revue Forts dans la Foi, d’une série d’articles, sur le thème de départ suivant (incontestable du point de vue théologique) : pas plus qu’il ne peut y avoir de régression dogmatique, il ne peut y avoir – toutes choses égales, et mille nuances apportées – de régression liturgique. Vous vous souvenez que je me suis enfoncé dans un maquis de complexités, et que pour finir… je n’ai pas conclu (à l’époque). Ce qui était une manière de conclure, et qui a dépité beaucoup de « fidèles ».
Sur la question du pape, la position dite « sédévacantiste » repose sur un syllogisme :
- Majeure : lorsque le pape, ou le concile réuni par le pape enseignent en remplissant les conditions du magistère solennel ou du magistère ordinaire et universel (enseignement sur la foi ou les mœurs, par le pape ou le pape et le concile comme tels, avec intention d’obliger à croire), ils sont infaillibles ;
- Mineure :
1)or Vatican II, sous la présidence du pape a enseigné des erreurs manifestes ;
2)tout en remplissant les conditions du magistère ordinaire et universel.
- Conclusion : Donc le pape qui a donné sa « forme » au concile Vatican II (Paul VI et ceux qui se réclament de lui) ne l’était pas.
La difficulté se trouve dans la mineure 2, où deux « évidences » se font concurrence : évidence de l’erreur/évidence que les conditions de l’infaillibilité sont réalisées. D’où une objection, dont je conviens qu’elle est peut-être sophistique : si l’erreur enseignée est manifeste, la « matière » de l’enseignement n’est pas la foi mais l’hérésie, et donc les conditions de l’infaillibilité ne sont pas remplies. Mais il y a une objection plus sérieuse et qui permet d’amplifier et de dégager la réflexion de sa gangue simpliste – objection, qui rejoint celle que vous formulez implicitement. Elle touche à la visibilité de l’Église : si toutes les apparences du magistère infaillible étaient présentes alors que l’erreur est enseignée, le peuple chrétien serait entraîné dans l’erreur contre les promesses faites à Pierre et à l’Église.
En fait, selon l’immense majorité des théologiens (notamment Joseph Ratzinger), les déclarations faites lors du Concile lui-même, les discussions sur les textes subséquents, tout montre que ni le Concile, ni les textes subséquents n’ont voulu se hausser à la hauteur de l’infaillibilité, au moins dans les passages qui font difficulté : il n'y a pas, par exemple, obligation de croire qu’il existe une « communion imparfaite » entre catholiques et séparés.
Bien. Mais ceci ne règle pas tout le problème : le sédévacantisme est une mauvaise réponse à une vraie question. Pour ne prendre qu’un exemple, celui de la "communion imparfaite" avec les séparés, le Concile et le Code de Droit canonique à sa suite permettent, à certaines conditions, l’intercommunion avec les chrétiens séparés. Ce qui est irrecevable. Et un certain nombre d’autres hiatus existent en ce qui concerne l’œcuménisme, la liberté religieuse, les fondements du dialogue avec les autres religions. Or le magistère n'a pas encore rectifié le tir.
Il reste donc un hic, qui est tout le mystère de l’enrayement par Vatican II de la machine magistérielle, que Jean Madiran a qualifié de « collapsus » magistériel, et que d’une manière ou d’une autre tout le monde remarque : le magistère d’aujourd’hui n’a plus la rigueur formelle et matérielle de celui d’avant. Tout se passe comme si les cavaliers étaient descendus du cheval magistériel (du magistère comme tel, celui qui oblige à croire en tranchant sur des points non encore réglés), et comme si, par fléchissement devant une des grandes revendications du monde moderne, on n'osait plus invoquer l’autorité de nouveaux dogmes, ou l’équivalent. J’ai donc parlé de « démission » (mot qui permettait pour autrui et pour ma propre réflexion plusieurs acceptions) pour qualifier le fait tout de même inouï que, depuis une bonne génération, le magistère comme tel, celui qui interprète et tranche définitivement, ne soit pas intervenu pour dire, par exemple, quel était le but de l’œcuménisme, laissant depuis Vatican II l’entière Église de Dieu dans un flou qui n’existait pas auparavant.
Mais cette position-là s'est elle-même précisée, par réalisme et en considération des événements qui manifestent visiblement que Dieu n’abandonne pas son Église. Le lecteur de Catholica et de mes ouvrages que vous êtes l’a remarqué. Réalisme, car ce qui importe d’abord et avant tout, c’est de sortir d’une situation de crise qui, dans son fond est une crise magistérielle, et non pas de lui donner une étiquette, ni de se donner à soi-même une étiquette. Il faut donc vouloir, aider à sa modeste place, adhérer à tout ce qui favorise une « sortie de crise », c’est-à-dire une interprétation au sens plein du terme, une interprétation magistérielle, faisant le tri entre le vrai et le faux, clarifiant le flou, établissant de clairs chemins dans les secteurs de Vatican II qui sont comme des marécages.
Enfin, pour être donc tout à fait complet et honnête dans l’examen intellectuel de moi-même, lorsque je parle aujourd’hui, à propos du nouveau pontificat, de transition, une transition qui est propre à amorcer une « sortie de Vatican II », une transition dans laquelle l’élément liturgique ne sera pas un élément mineur (comme inversement la réforme de Paul VI n’a pas été mineure pour qualifier l’époque qu’a inauguré Vatican II), je ne manque pas de dire, chaque fois que j’en ai l’occasion (cf. ma présentation au Carnet d’Ansgar Santogrossi, Vers quelle unité ?), que cette transition était déjà à l’œuvre dans une série de textes antérieurs, qui certes restent décidemment « conciliaires » sur certains points (Catéchisme de l’Église catholique, Dominus Jesus, et de très nombreux autres), mais de manière tellement différente qu’ils ont provoqué une véritable rébellion chez les théologiens conciliaires. Vous me direz, et j’en conviendrai volontiers, qu’Humanae vitae, en 1968, était un texte de cette sorte, et qu’il en existe dans le Concile lui-même : je pense à ces paragraphes « conservateurs » de Dignitatis humanae, qui contredisent les paragraphes « libéraux ». Mais il reste des paragraphes libéraux dans DIgnitatis humanae, alors qu’on en trouve pas dans Mediator Dei.
En vérité, qui sommes-nous pour vouloir tout trancher ? Dans un processus tout à fait atypique de rupture molle, comme a été l’ensemble de l’événement de Vatican II, qui peut dire après combien de temps passé et avec quoi on s’est trouvé vraiment dans un «après» ? Inversement, dans un processus de transition molle – une « remontée de l’intérieur », comme aimait à dire le cardinal Ratzinger – qui peut dire quand et avec quoi on va trouver vraiment dans un «après de l’après». Qui, de toutes façons, ne sera plus comme l’avant, puisque, par définition, le magistère de l’Église évolue en fonction des crises qu’il rencontre.
Mais, il faut Cher Candidus, cultiver notre jardin… c'est-à-dire sarcler, chacun à notre place, sans se lasser, le jardin de l’Église.
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