Une grande dame, Hiuldegarde, composait comme vous : de visions qui chantent

Le Forum Catholique

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Glycera -  2007-01-15 20:24:51

Une grande dame, Hiuldegarde, composait comme vous : de visions qui chantent

Madame,


Votre réponse m'a fait souvenir d'une lettre de cette superbe dame Hildegarde. Vous verrez ce qu'elle dit de la composition, de la musique qu'elle voit et des visions qu'elle entend toutes ensembles...

Je ne résiste pas à l'honneur de vous offrir cette page.
Mais vous devez sans doute connaître cette belle dame.
Elle aurait aussi aimé voir revivre Lagrasse et y entendre proprement louer Dieu !

Avec mes bien respectueuses salutations
Glycéra




Hildegarde, ses visions et la musique…

La musique fait partie intégrante des visions d'Hildegarde de Bingen, comme le suggère une lettre d'Odon de Soissons adressée à la sainte :
"On raconte, que ravie en extase, tu contemples et racontes, au travers des Ecritures, de nombreuses visions d'éternité que toi, qui n'as pas appris la musique, tu composes des chants sur des mélodies nouvelles."

Guibert de Gembloux, l'ami et secrétaire d'Hildegarde, confirme ce témoignage et écrit qu'après avoir joui des célestes harmonies de ses visions, la sainte écrivait de la musique destinée à être chantée en public au cours des offices, avec des séquences composées en l'honneur de Dieu et des saints. Le vocabulaire même d'Hildegarde lorsqu'elle décrit ses expériences mystiques conforte l'idée que le terme de "vision" est impropre à traduire leur nature ; à diverses reprises – ainsi, dans la dernière visions du Scivias, par exemple – les récits de la sainte indiquent clairement qu'il s'agit autant de la retranscription d'un concert céleste qu'elle entend lorsque les cieux s'ouvrent pour elle que d'un expérience simplement visuelle ; audition et vision sont presque toujours mêlées : en quelque sorte, la lumière parle et les paroles sont comme une flamme brillante. Pour Hildegarde, la musique est réminiscence de cette science divine que l'homme a perdue après la chute, elle est un des seuls liens qui l'unisse encore aux réalités spirituelles et le détourne de l'accablement que son bannissement du paradis céleste pourrait susciter en lui. Le texte qui exprime le plus clairement cette conception de la musique est une lettre, écrite dans ses dernières années, où elle tente de convaincre les prélats de Mayence de lever l'interdiction de chanter les offices qui pèse sur son couvent où repose un jeune noble excommunié. Hildegarde demande au chapitre de reconsidérer une décision qu'elle juge injuste d'un point de vue légal et qui va à l'encontre des préceptes divins :

" Pour ne pas être totalement désobéissantes, nous avons cessé de chanter les louanges divines et de communier comme nous le faisons presque chaque mois. Cela eut pour effet de nous plonger, toutes mes sœurs et moi, dans une grande affliction et amertume et de nous emplir d'une immense tristesse ; oppressée sous ce poids écrasant, j'ai entendu ces mots lors d'une vision : "Il n'est pas juste de délaisser les sacrements du vêtement du Verbe de Dieu, votre Salut, né dans une nature vierge de la Vierge Marie, sur des ordres humains."
J'ai vu aussi, qu'en vous obéissant, nous célébrions le divin office de façon incorrecte, en ayant cessé jusqu'aujourd'hui de le chanter. Et en nous contentant seulement de le lire à voix basse, et j'ai entendu une vois émanant de la Lumière vivante. Elle parlait des diverses formes de louanges à propos desquelles David écrit dans els Psaumes : Louez-Le au son de la trompette, louez-Le avec l'instrument à dix cordes et avec la cithare, etc. jusqu'à Que tout ce qui respire et qui vit loue le Seigneur ! Ces paroles nous enseignent à aller de l'extérieur à l'intérieur : comme le font ces instruments de musique matériels, avec leurs diverses particularités, nous devons orienter tout l'élan de notre homme intérieur vers la louange du Créateur et lui donner une expression. Si nous les étudions avec attention, nous nous rappelons que l'homme a besoin de la vois de l'Esprit de Vie mais qu'Adam l'a perdue en désobéissant. Lorsqu'il était encore innocent, avant sa faute, sa voix s'unissait pleinement aux choeurs des Anges pour louer Dieu ; les Anges possèdent cette voix par leur nature spirituelle ; ils sont appelés esprits par l'Esprit qui est Dieu. Adam a donc perdu cette affinité avec la voix des anges, qu'il possédait au Paradis ; il s'est fermé à cette connaissance qu'il possédait avant le péché, comme un homme qui en s'éveillant ne se souvient pas ou n'est pas très sûr de ce qu'il a vu en songe. […]
Mais Dieu qui sauve les âmes des élus en leur infusant la lumière de la Vérité pour qu'ils recouvrent leur félicité originelle, décida de renouveler les cœurs d'un grand nombre en les emplissant d'un esprit prophétique ; par cette illumination intérieure, ils retrouvent quelque chose de cette connaissance perdue qu'Adam possédait avant le châtiment de sa faute. Pour que leurs auditeurs ne se souviennent pas de leur exil, mais seulement de la douceur de la louange divine dont jouissait Adam avec les Anges, et pour les y inciter, les saints prophètes, instruits par ce même Esprit qu'ils avaient reçu, ne se sont pas contenté de composer des psaumes et des cantiques qu'ils chantaient pour attiser leur foi. Ils ont aussi fabriqué à cette fin divers instruments de musique, produisant de multiples sons. Ainsi, comme nous l'avons dit plus haut, les auditeurs, instruits et éduqués par l'aspect et les particularités de chaque instrument autant que par le sens des paroles qui sont dites sur la musique,reçoivent un enseignement intérieur par des procédés extérieurs. Imitant les saints prophètes, sages et savants ont inventé grâce à leur savoir-faire humain de nombreux instruments pour que la joie de leur âme puisse chanter. Leurs chants s'adaptaient à la dextérité de leurs doigts pour qu'ils se rappellent qu'Adam avait été façonné par le doigt de Dieu, le Saint-Esprit. Avant la chute, la voix d'Adam possédait toute la douceur et l'harmonie de la musique. S'il était resté dans l'état où il avait été créé, la faiblesse de la nature humaine n'aurait pu supporter la force et les accents de cette voix.[…]
Réfléchissez ! De même que le Corps de Jésus-Christ est né de la virginité de Marie par l'Esprit Saint, de même le cantique de louanges, à l'image de l'harmonie céleste, s'est enraciné par l'Esprit-Saint en l'Eglise. Le corps est le vêtement de l'âme et la voix de l'âme est vie ; aussi il faut que le corps chante les louanges de Dieu avec l'âme, grâce à la voix. […]
Puisqu'en écoutant les cantiques, l'homme soupire souvent et gémit au souvenir de l'harmonie céleste, les prophète, connaissant toute la profondeur de la nature spirituelle et sachant que l'âme est musique par essence, nous exhorte dans son psaume à confesser Dieu sur la cithare et à psalmodier sur la harpe à dix cordes ; les sons de la cithare sont graves pour nous inciter à l'ascèse corporelle ; les sons de la harpe sont aigus, pour nous inciter à élever notre esprit ; les cordes sont au nombre de dix pour nous inciter à respecter les dix commandements.
En conclusion : ceux qui sans avoir bien pesé leurs raisons, imposent silence à l'Eglise qui chante les louanges de Dieu, car sur terre, ils auront injustement privé Dieu de la gloire qui lui revient, à mois qu'ils ne s'amendent par une vraie pénitence et une humble satisfaction."

Ces lignes éclairent la conviction profonde d'Hildegarde : le chant est l'expression du divin, et l'étouffer revient à tuer la vie dont il est l'expression, ou en d'autres termes,à "arracher l'homme à l'harmonie céleste et aux délices du paradis". La lettre souligne aussi le lien entre les paroles et les mélodies qui les supportent ; elles naissent ensemble et rien n'indique que les unes pourraient venir à l'existence sans les autres ; c'est dans un même mouvement et dans un même moment que les saints prophètes composent des cantiques et fabriquent des instruments de musique. Les compositions d'Hildegarde semblent relever de la même conjonction. Lorsque l'abbé Kuno demande à Hildegarde de l'informer sur le saint patron de son monastère, la prieure, après l'avoir durement admonesté, lui envoie trois de ses compositions écrites à la gloire de saint Disibod, précédées de ces seuls mots :
"Tu m'as demandé, père, de t'écrire si je contemplais ou comprenais quelques révélations sur le bienheureux Disibod, ton saint patron ; voici, tel quel, ce que j'ai entendu, vu et compris à son sujet."
Comme dans l'Apocalypse, les cieux s'ouvrent et se découvrent, pleins de chants et de musique. Pour Hildegarde, la musique est uniquement surnaturelle ou spirituelle ; on ne trouvera nulle autre considération de nature plus philosophique ou théorique dans ses écrits ; jamais la musique n'est suspectée d'amollir les âmes ou de leur apporter des plaisirs suspects. Tout se déroule selon la même logique pour Hildegarde : étant prophète, elle se contente de laisser parler ou chanter Dieu à travers elle.
"Ecoute encore : ceux qui tardent à accomplir les œuvres de Dieu doivent sans cesse se rappeler qu'ils sont des vases fragiles car ils ne sont que créatures humaines. Ils doivent sans cesse se rappeler ce qu'ils sont et ce qu'ils deviendront. Ils doivent laisser ce qui est céleste à Celui qui est céleste, car ils sont des exilés, ignorants des choses célestes. Ils peuvent seulement chanter les mystères divins, comme une trompette, qui peut être jouée mais ne peut jouer d'elle-même, c'est un Autre qui souffle en elle pour qu'elle puisse donner un son. Que els doux, les miséricordieux, les pauvres et les affligés revêtent la cuirasse de la foi ; étant le son de Sa trompette, ils vivent humblement comme des enfants car Dieu ne cesse de fustiger ceux qui jouent de Sa trompette, mais, selon son bon vouloir, il veille à ce que leur vase fragile ne périsse pas.
O ma fille, que Dieu fasse de toi un miroir reflétant la vie. Moi aussi, la pusillanimité de mon esprit me met à terre et la criante m'épuise sous les tourments, mais parfois, quelques sons fragiles de trompette chantent à travers moi grâce à la lumière vivante.
Puisse Dieu m'aider à persévérer à son service."

Hildegarde de Bingen (1098 – 1182)
Livre La symphonie des harmonies célestes
Préface de Rebecca Lenoir.


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