Monseigneur, vous pourfendez l’ « occident anticatholique » dans votre lettre pastorale de Juillet 2009. Je comprend et partage cette analyse, mais n’y a-t-il pas dans l’Église d’Afrique un ressentiment plus général envers l’Europe dont a témoigné la « grève » des prêtres en Centrafrique qui entendaient protester contre ce qu’ils appelaient « néocolonialisme religieux » alors que Notre Très Saint Père avait décider de changer avant l’âge de la retraite Mgr. l’Archevêque de Bangui, originaire du clergé séculier local, pour le remplacer par un religieux formé en Europe ? De même, les évêques africains ont été en même temps (je pense à Monseigneur l’Archevêque de Dakar qu’on a vu à la télévision française) à la fois admirables et très durs dans leur condamnation de certains évêques européens qui s’étaient désolidarisés de Notre Très Saint Père suite à Ses déclarations dans l’avion qui le menait au Cameroun. Y a-t-il aujourd’hui un divorce entre l’Église qui est en Europe, qui fait ce qu’elle peut avec ce qu’elle a comme faibles moyens et se compromet parfois avec la situation de l’Europe, et l’Église qui est en Afrique qui, radieuse de son dynamisme et de ses nombreuses vocations est dans une meilleure situation pour annoncer l’Évangile sans compromission ?
Monseigneur, beaucoup disent que l'épiscopat africain a appuyé fortement le passage de la Sainte Messe aux langues vernaculaires car cela raccourcissait la formation de Prêtres, permettant de subvenir plus vitre aux besoins criant des Églises d'Afrique, et donnait un caractère national à des Églises d'implantation récentes. Pourtant vous dites dans La Nef que l'Afrique n'avait pas vraiment besoin de la réforme, le Catholicisme y étant d'implantation récente; ces 2 thèses sont elles conciliables?
Monseigneur, l'introduction de caractères proprement africains dans la célébration de la Sainte Messe, parfois contraires à ce qui ce fait et s'est toujours fait ailleurs (danses...) ne porterait-il pas atteinte au caractère universel de l'Église?
Monseigneur, que pensez-vous de l’envoi de prêtres africains en mission dans les pays d’Europe ? Certains y voient un beau symbole d’une évangélisation de l’Europe par l’Afrique en retour de ce qui s’est fait aux XIX et XXe siècles, mais est-ce que cela ne conduit pas à vider dans une certaine manière l’Église d’Afrique de ses forces vives dont elle a besoin pour entretenir des communautés paroissiales mourantes ? Votre diocèse contribue-t-il à ce mouvement ?
Monseigneur, rencontrez vous dans votre apostolat admirable les mêmes difficultés que les Évêques des premiers temps de la Chrétienté, à savoir la persistance du culte des idoles (notamment le vaudou institutionnalisé par Nicéphore Soglo), le problème des apostats voulant revenir à l’Église, et certains assouplissements de la discipline ecclésiastique chez quelques Prêtres ? Quelles sont vos méthodes missionnaires, que prescrivez-vous à vos Prêtres dans de tels cas ?
Monseigneur, il est très à la mode en Europe de faire du « dialogue inter-religieux », particulièrement avec les musulmans. J’ai lu dans La Nef vos propos sur la bonne entente entre musulmans et Chrétiens dans votre diocèse, c’est une sorte de dialogue, mais les Église d’Afrique promeuvent-elles les échanges doctrinaux avec les musulmans? Parler de théologie avec des musulmans sans essayer le moins du monde de les convertir ni de dénoncer la fausseté de leurs positions ne serait pas une trahison de la prescription de répandre l’Évangile ?
Monseigneur, existe-t-il dans les Églises d’Afrique une version locale de la « théologie de la libération » qui a fait tant de dégâts dans les Églises d’Amérique Latine ? Votre « théologie de la responsabilité » ne serait elle pas aux antipodes de cette théologie néfaste qui rend une partie du peuple responsable des malheurs de l’autre et prêche le conflit de classes et la violence pour obtenir ce que l'on estime être son dû ?
Monseigneur, pensez vous qu’il serait souhaitable que le prochain Souverain Pontife ne soit pas européen ?
Monseigneur, vous dites dans La Nef que les Églises d’Afrique ont encore besoin de l’Europe, mais qu’est ce que l’Église de France, par exemple, déclinante, pourrait apporter à une Église bien plus dynamique, pleine de Foi et de vocations ?
Monseigneur, comment encourageriez-vous un candidat au séminaire en Europe, apeuré par la situation de son Église et qui se demande ce que l'avenir lui réserve si sa vocation se détermine?
• On ne peut pas nier que les blessures du colonialisme ne soient pas encore bien cicatrisées chez certains Africains. Et l’affaire de Bangui a été peut-être instrumentalisée par des nationalistes qui ne pouvaient plus accepter qu’un Evêque Blanc soit leur chef et leur pasteur. C’est difficile à juger. Car en règle générale, en dehors de quelques murmures contre certaines nominations d’Evêques, les Africains sont très soumis aux instructions du Saint-Père.
• Pour la question du vernaculaire, il est exact que l’épiscopat africain a appuyé l’introduction des langues vernaculaires tout d’abord dans le rituel (années 50), puis dans la messe, sans exclure le latin qui est resté très présent en de nombreux pays d’Afrique. En effet, la première partie de la Sainte Messe, la liturgie de la Parole s’adresse au Peuple de Dieu. C’est bien normal que le peuple saisisse ce que l’Esprit dit à son Eglise. Dieu a toujours voulu parler le langage des hommes pour se faire comprendre. Mais pour la deuxième partie qui concerne le Saint Sacrifice à proprement parler, c’est différent.
• Venons-en à Mgr Lefebvre, qui fut à un moment donné à la tête de l’épiscopat de l’Afrique de l’ouest. Il était de ceux qui prônaient l’introduction des langues vernaculaires et, au Concile Vatican II, il s’en fit le défenseur, surtout pour la première partie de la messe comme je viens de vous le dire. Pour ce qui est des autres particularités comme les danses ou le tam-tam, il faut distinguer. Tout comme il y a une musique religieuse et une musique profane, il peut y avoir danse sacrée et danse profane. La tradition copte catholique en est un vénérable témoin, la danse n’est donc pas contraire à ce qui « s’est toujours fait ailleurs » ! Le tam-tam lui-même est varié, il y a des rythmes religieux et sacrés et d’autres non. Ce qui compte, c’est le caractère sacré du chant : rythme, mélodie et paroles etc. Je continue de soutenir que ce n’était pas nécessaire pour l’Afrique de toucher à la partie sacrificielle de la Sainte Messe du missel de Jean XXIII.
• St Paul nous dit : Le corps forme un tout, il a pourtant plusieurs membres. L’unité n’exclut pas le multiple. On parle bien de l’unité dans la différence. Souvent nous oublions que c’est le même Dieu qui a créé tous les peuples avec les différences qu’ils ont. L’Eglise a horreur de l’universalité qui est homogénéité ou uniformité. Les buchettes bien rangées dans une boîte d’allumettes, ce n’est pas l’unité. Tout est pareil et rien ne bouge ni évolue. Mais si les éléments différents et nouveaux qu’on introduits sont contraires à la foi de l’Eglise ou à son caractère universel, oui, il faut les exclure. Ce qui est perversion, souillure, dépravation est contraire à l’unité.
• Les prêtres africains en mission ? C’est une bonne chose. Mais cela crée des problèmes de part et d’autre. Du côté européen, on a peur que les Africains prennent la place, on a peur de partager avec eux, on a peur de manquer de l’essentiel : du moins c’est ce qu’il nous semble. Et on nous humilie. Nous sommes assimilés aux immigrés, aux sans papiers qui n’ont rien à manger chez eux et traités comme des gens de seconde zone. Il y a du mépris vis-à-vis de nous. Ne nous cachons pas la vérité. Moi-même j’ai eu à subir des affronts dans des services diocésains parce qu’on croyait que je venais mendier quelque chose. Mais n’exagérons pas. En général on est bien reçu surtout dans les familles, par les laïcs, des communautés religieuses, et des prêtres amis. Du côté africain, ces départs pour l’Europe ne sont pas toujours de vrais envois en mission. C’est à spiritualiser et à mieux discipliner. Il faut que ce soit sous la poussée de l’Esprit de Pentecôte. Pierre et Paul n’ont pas attendu que la Palestine n’ait plus besoin d’apôtres avant d’aller à Rome. Plus on donne, plus on reçoit. « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement ». L’Afrique ne se videra pas de prêtres parce qu’elle est généreuse. Cette peur n’est pas justifiée du tout. En tout cas, l’Eglise qui n’est pas missionnaire s’étiole et meurt, faute de souffle et d’épanouissement. Un petit constat : les Instituts religieux européens qui n’ont pas le sacrifice d’aller en mission manquent de vocations aujourd’hui.
• Dans le nord Bénin, il n’y a pas de vaudou. La religion traditionnelle africaine n’est pas aussi virulente qu’au sud. Nos populations actuellement, sont attirées par Jésus-Christ. La moisson est mûre pour le catholicisme. Pour ce qui est de l’assouplissement de la discipline ecclésiastique - vous faites peut-être référence au respect du célibat - comme en tout clergé, qu’il soit occidental ou africain, et l’actualité nous le prouve tristement, il y a des défaillances. La chair est faible, nous le savons, Dieu aussi le sait. Mais n’oublions pas que « là où le péché a abondé la grâce a surabondé ». Les échecs ne doivent pas faire jeter l’opprobre sur le corps tout entier. Il y en a qui cherchent à vivre la vie ecclésiastique dans des conditions souvent bien difficiles ! Ne faisons donc pas de la surenchère à partir de quelques défections. Que ceux qui se sentent forts portent l’infirmité des faibles (Ro 14 et 15), ne serait-ce qu’en priant pour eux.
• La méthode missionnaire ? Etre proche du peuple, de ses aspirations, vivre l’Evangile et aider le peuple à découvrir l’amour sans limites de Notre Dieu. Le dialogue, qui est d’abord un respect et une compréhension mutuels, ne nuit en rien à l’évangélisation. Le Christ n’impose pas son message. Il nous appelle en disant : « Si tu veux, viens et suis-moi ». La théologie de la libération n’a pas eu de place chez nous. Par contre, nous avons besoin de développer la théologie de la responsabilité pour sortir du climat de victimisation, du fatalisme, de la résignation qui paralyse ou tout au moins freine notre élan. Je voudrais que les Africains aient plus de foi et plus d’enthousiasme que tous les peuples. Rien de grand, de beau et de durable ne se fait sans passion.
• Le prochain Pape sera l’évêque de Rome : européen, africain, asiatique, australien ou américain. Cela importe peu. Celui que l’Esprit Saint nous donnera sera le bienvenu, et il faudra l’écouter et suivre ses enseignements. Pas de politique partisane à ce niveau.
• Oui, nous avons encore besoin de l’Europe car c’est de là qu’est venue la lumière de l’Evangile pour nos contrées. Nous avons besoin du trésor de votre longue tradition spirituelle qui, a animé quinze siècles de christianisme, même si elle semble couverte par la cendre aujourd’hui.
• Un candidat au séminaire apeuré ? Pourquoi ? Qu’il tombe amoureux de la Vierge Marie. Et qu’il se souvienne constamment cette phrase de Jésus : « J’ai vaincu le monde ». Notre Sauveur n’a pas été un déserteur.
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