Vous avez accueilli dans votre diocèse l’abbé Denis Le Pivain et une fondation de l’abbaye bénédictine de Jouques : pourquoi cet accueil pour des communautés traditionnelles ? Les Africains apprécient-ils la « messe en latin » ?
Disons que tout ce qui est catholique doit pouvoir trouver sa place en tout secteur de notre Église. On ne peut pas se priver de la diversité des charismes ! Nous accueillons à Natitingou tous ceux qui se dévouent dans la vigne du Seigneur à la seule condition qu’ils veuillent bien le faire en harmonie avec le reste du diocèse. Le contexte est ici tout autre qu’en Europe. Dieu soit loué, nous avons été épargnés par les conflits autour de la liturgie. C’est avec la messe tridentine que les missionnaires nous ont apporté la foi catholique, nous l’oublions souvent. Dans beaucoup de paroisses au Bénin, vous trouvez encore des chorales céciliennes qui n’ont jamais cessé de chanter le grégorien. D’ailleurs le changement liturgique, à mon humble avis, ne s’imposait pas tant en Afrique où la foi était encore jeune. À l’ouverture du concile Vatican II, Natitingou n’avait que 20 ans d’évangélisation. À cet âge-là, on n’a pas encore de rides. Je reste toutefois convaincu que les deux formes du missel romain peuvent coexister pacifiquement et s’enrichir mutuellement.
Vous parlez du latin. Dans notre société, les communautés linguistiques sont nombreuses. On en compte plus de 10 originaires du diocèse ! Chanter dans une langue qu’on ne comprend pas est donc le lot commun de nos assemblées liturgiques. Ce n’est pas un drame au Bénin. Le latin apporte plutôt une unité que le français ne peut réaliser de la même manière. Le peuple latin n’existe plus. Du coup le latin n’appartient à personne ou plutôt est la langue de tout catholique latin. De plus, dans les religions traditionnelles africaines, le sacrificateur ou l’officiant s’adresse à Dieu dans une langue inconnue du commun des mortels et cela ne gêne personne. Enfin, ironie de l’histoire, c’est un pape africain, saint Victor Ier, qui a imposé à Rome la langue latine dans les liturgies chrétiennes, vers la fin du IIe siècle.
Il y a aussi un autre point qui parle à l’âme africaine, c’est l’orientation commune du prêtre et des fidèles vers l’Orient, le soleil levant. Dans l’ancienne liturgie, le prêtre ne tournait pas le dos aux fidèles. Il se tournait avec le peuple vers Dieu. Cette réalité est présente non seulement dans les cultes traditionnels africains mais aussi dans l’Islam. Nos gens le comprennent donc très bien. Dans ce face-à-face actuel entre le prêtre et le peuple, le prêtre tourne plutôt le dos au crucifix principal, qui est désormais notre Orient. C’est quand même dommage. Cela vient peut-être de ce que nous ne sommes plus sensibles à la dimension cosmique de la Révélation. Or les éléments de la création sont très présents dans les Saintes Écritures. Nous ne prions plus avec toute la création parce que nous ne considérons plus la création comme œuvre divine. Que faire ? Nous avons éliminé un grand symbolisme.
En tout cas, l’arrivée de l’abbé Denis Le Pivain n’a provoqué aucune vague dans le diocèse, pas plus que celle des bénédictines de Jouques. Ce sont des personnes qui aiment l’Église et sont au service de la communion ecclésiale. Actuellement, mes prêtres diocésains prennent leur tour pour célébrer la messe au monastère chaque matin. Ils aiment le latin. On y célèbre selon les deux rites et cela ne choque personne.
Vous étiez présent à Rome au congrès du CIEL l’an dernier : comment analysez-vous la situation liturgique dans l’Église latine ? Quel apport et quelle place doit avoir selon vous la messe dite de saint Pie V ?
En effet, ce congrès m’a permis de découvrir cette portion de l’Église attachée au rite tridentin. La question liturgique en Europe est encore une question qui divise. Beaucoup de blessures, de part et d’autre, ne sont pas cicatrisées. Je disais au cours de ce Congrès : « Posons-nous la question de savoir pourquoi notre Église existe. N’est-ce pas pour évangéliser ? Nous pouvons évangéliser avec le rite de saint Jean Chrysostome, de saint Pie V, de Paul VI, etc. Mais nous ne pouvons pas évangéliser le monde si nos cœurs sont divisés. » Aucun rite n’est tombé du ciel. Aucun rite n’est un dogme. Tous les rites sont réformables. Les deux expressions du même rite ont donné des saints à l’Église. Le drame vient, comme toujours, de ceux qui ont une position extrême et qui ont la faveur des médias. Si on oppose les rites, si on interprète le concile Vatican II selon une « herméneutique de rupture », pour reprendre la fine analyse de notre Saint-Père, alors on opposera toujours le rite dit de Pie V à celui de Paul VI, soit pour rejeter l’un, soit pour rejeter l’autre. Or, il est urgent, si on veut rester catholique, de dépasser cette rupture pour voir comment l’expression ancienne et l’expression nouvelle peuvent s’enrichir. L’esprit de communion doit rassembler les clergés célébrant les deux rites si l’on veut œuvrer à l’unité de l’Église. Les professeurs de liturgie dans les séminaires devraient enseigner et faire aimer les deux formes. Quand un prêtre ne veut, en aucune façon, célébrer ou même seulement concélébrer dans l’une des deux formes du rite romain, alors oui, il jette un doute très grave sur cette forme, doute qui engendre un germe de division. L’Église, en Europe, est-elle assez forte pour se permettre cela ?
Que pensez-vous du Motu proprio Summorum Pontificum et comment un tel texte est-il reçu en Afrique ?
Le Saint-Père a été d’une sagesse et d’un équilibre exemplaires. Son principal souci est de parvenir à une réconciliation interne au sein de l’Église. Comme tout ce qui vient de Rome, je souhaite vivement que cette perspective soit bien accueillie. Essayons de mettre en pratique les conseils du pape. Au bout de trois ans, on fera le bilan. Mais j’ai peur du mauvais service que peuvent rendre les médias pernicieux qui n’aiment pas l’Église. En tout cas je suis prêt à accueillir dans mon diocèse les prêtres ou les communautés traditionalistes à une seule condition : qu’ils acceptent l’ecclésiologie de communion prônée par le concile Vatican II. L’union de l’Église à l’image de la Sainte Trinité fut la grande préoccupation du Christ la veille de mourir pour nous. C’est une conviction non négociable pour moi. Le vrai problème contre l’unité se situe au niveau des cœurs et des esprits. Les rites n’ont aucun problème. Prions pour la conversion des extrémistes et des fanatiques.
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