Vaste question, cher Dominique, qui appelle un certain « flash-back ». Le tsunami surgi à l’occasion de Vatican II, sous prétexte de répondre à son souffle ou à son « esprit », a provoqué une « IVT » : interruption volontaire de tradition ! Une rupture non pas accidentelle mais bien volontaire dans la continuité de la tradition. Une interruption et non pas une cessation - comme l’est en réalité l’ « IVG » - car l’Eglise, qui a les paroles de la Vie éternelle, ne peut jamais en définitive connaître la rupture complète de sa tradition et de son Magistère vivant. Il n’empêche que des « plombs » ont bien sauté quelque part, plongeant dans une certaine obscurité l’ensemble des fidèles. En redressant les « interrupteurs », Benoît XVI remet peu à peu le courant dans l’Eglise, comme après la tempête. C’est la rupture de la rupture conjuguée à sa réforme de la réforme, qui apparaît comme une véritable libération.
J’entends notamment par « libération » celle particulière des excommunications des quatre évêques de la FSSPX (21.01.09) avec tout ce qui peut en découler, mais aussi la libération universelle de la messe traditionnelle (07.07.07) et plus généralement encore la libération de l’ « herméneutique » conciliaire par le discours pontifical à la Curie romaine (22.12.05). Or un sermon de Mgr Williamson lors des prises de soutane de 2008 à Flavigny – rediffusé notamment sur ce Forum à l’occasion des derniers événements et développant la « nécessité » de faire « Eglise à part » sans cesser d’être d’Eglise - me rappelle une analogie avec une autre Libération. Analogie osée de similitude suggérée après les sacres épiscopaux de Mgr Lefebvre et que je redonne ici, avec une anecdote, bien conscient que comparaison n’est pas raison car l’emploi de catégories politiques est forcément inadapté pour des questions religieuses.
Depuis Vatican II, le modernisme était à l’Eglise ce que l’Allemand avait été à la France de 39-40 : un envahisseur et un occupant aliénant à vitesse V notre juste liberté. L’occasion inattendue fut pourtant un jour offerte d’un protocole (certes imparfait), laissant pour ainsi dire plus libres les catholiques de tradition, comme l’armistice (signée dans l’honneur) avait permis de laisser à moitié libre (de façon inespérée) la France humiliée. Bref, les circonstances proposèrent à un prestigieux prélat de l’Eglise enseignante, S. Exc. Mgr Marcel Lefebvre, de devenir le maréchal Pétain de la tradition : le bouclier des fidèles du rang face aux prétentions abusives de l’occupant. Après avoir longtemps hésité et même signé le protocole, le vieux soldat de Dieu préféra pourtant en conscience servir d’épée contre l’occupant : être le général de Gaulle de la tradition ! Il choisit en somme d’incarner l’intégrité de l’Eglise authentique hors de l’Eglise officielle dite « conciliaire », comme le général avait voulu incarner l’intégrité de la France hors de sa métropole et en rébellion ouverte avec son gouvernement officiel (reconnu aussi bien par le Saint-Siège que Washington ou Moscou…).
Il y eut dès lors, en quelque sorte, les « gaullistes » et les « pétainistes » de la tradition : deux voies prudentielles assurément différentes, mais peut-être complémentaires (« l’épée et le bouclier » du colonel Rémy !), malgré la mauvaise dialectique qui s’ensuivit entre présumés « ralliés » (« collabos ») et supposés « schismatiques » (« résistants »), de part et d’autre de cette nouvelle ligne de partage des eaux (1). Si, ce qu’on appelle sociologiquement la tradition par abus de langage - en tant que telle, la tradition ne peut être une entité autonome à part de l’Eglise - fut « sans peur » (pour reprendre un titre fameux), elle ne fut pas, à cet égard, toujours sans reproches…
Lors de « la rencontre » de Pentecôte 2001 à l’intersection des deux pèlerinages traditionnels de Pentecôte, un abbé de la FSSPX, à qui j’esquissais sommairement cette image, la trouva à son gout. Et nous avions convenu alors, autour du pot de l’amitié, que le grand défi pour les catholiques de tradition serait, à l’heure venue, de ne pas reproduire la guerre civile et fratricide de la Libération. Il est, au reste, devenu depuis un ardent défenseur du « tradi-oecuménisme ».
Avec Benoît XVI et les libérations évoquées plus haut, ce « temps favorable » est venu, semble-t-il. Le temps de parler en termes, non plus exclusivement de camps ou de partis, mais de bien commun, pour la restauration de l’Eglise en ruines, au-delà même des divisions de la mouvance, à la lumière de la tradition bien sûr, selon les vertus surnaturelles de foi, d’espérance et de charité. Le plaidoyer « gaulliste » de Mgr Williamson (avec sa logique d’ « état de nécessité » et de hors-piste canonique) m’apparaît de plus en plus obsolète ou risqué. Pour faire face ensemble aux loups qui menacent encore la bergerie et aider le Pape à les chasser sans peur, la coopération des « forces vives » de l’Eglise est plus que nécessaire. Cette coopération suppose pour l’Eglise quelque chose d’analogue, mais selon un autre ordre évidemment, au compromis nationaliste, selon les voies légitimes et licites que propose Benoît XVI in medio Ecclesiae, avec les charismes de chacun : « Unité sur les choses essentielles, liberté sur les choses douteuses, charité en toutes chose » (saint Augustin).
(1) La « ligne de crêtes » que trace l’abbé de Cacqueray (FSSPX) entre le « ralliement » et le « sédévacantisme » n’est pas adéquate, en ce sens (analogique), à celle que désignait Maurras pour définir la bonne position entre 1940 et 1944 : refus de soutenir la collaboration idéologique et militaire avec l’Allemagne nazie et refus de la résistance gaulliste comme « un schisme français » qui aboutit à une guerre civile (cf. Aletheia d’Yves Chiron du 11 février dernier). Cette position, que revendique notamment la CRC (de l’abbé de Nantes), évoque plutôt la mouvance « Ecclesia Dei » et plus généralement « les silencieux de l’Eglise »…
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