Jean Madiran a en quelque sorte répondu à votre question (au moins partiellement) jeudi dernier dans Présent en expliquant justement ce qu’il entendait par « Eglise du silence » (article d’ailleurs paru sur le Forum). C’est ce que j’appelle pour ma part l’ « Eglise par omission ». En ce sens que trop d’évêques s’abstiennent de plus en plus de parler publiquement au nom de Dieu, Bien commun surnaturel de l’humanité, sous prétexte d’agir dans le cadre de la laïcité ouverte, soi-disant bien commun des religions et de l’Etat moderne.
Mais « Eglise par omission », l’Eglise de France l’est non seulement vis-à-vis du pouvoir temporel et de la société sécularisée où il s’exerce, par son consentement au pacte de la laïcité ouverte (cf. La laïcité dans tous ses débats). Mais elle l’est aussi (d’une manière corollaire) à l’égard de ses propres ouailles, qu’elle prive plus ou moins des aliments vitaux de la « sotériologie » chrétienne, c’est-à-dire la doctrine traditionnelle du salut chrétien en matière de foi et de mœurs.
En témoignent toutes les malfaçons post-conciliaires de la catéchèse, de la nouvelle messe, des traductions ou des interprétations scripturaires. Et l’empêchement arbitraire des formes anciennes tant de la lex orandi (loi de la prière) que de la lex credendi (loi de la foi), dont l’union fait la force. Mais cela commence à changer, non sans résistances.
Pour en revenir à la « laïcité ouverte » ou « positive », il me semble, en effet, qu’on peut en faire usage chrétiennement autant qu’il est possible (c’est un « mieux » par rapport à la laïcité négative), à condition de ne pas sacrifier aux nouvelle idoles du temps présent, c’est-à-dire en rentrant théoriquement et pratiquement dans le nouveau Panthéon mental qu’elle suppose (comme semblent le faire trop d’évêques).
Vouloir se faire entendre et négocier avec nos interlocuteurs laïcistes au pouvoir est toujours souhaitable sur la base de la loi naturelle, à condition de ne pas mutiler notre identité surnaturelle : « ôtez le surnaturel… » Quand on ne veut pas appuyer le naturel par le surnaturel, c’est le naturel qui se plie à l’arbitraire. On entre alors dans le piège et le leurre du Panthéon démocratique, en abandonnant les principes non-négociables. La nouvelle évangélisation doit absolument s’y refuser comme la première évangélisation a rejeté le Panthéon romain, au risque de l’exclusion et de la persécution.
Au principe laïciste de séparation entre l’Etat et l’Eglise correspond le principe moderniste de séparation entre le naturel et le surnaturel, la science et la théologie…, qui empêchent le plus souvent les hommes de Dieu (même sous le régime de la laïcité ouverte) de parler au nom de Dieu. Or il y a simultanéité des causes et des ordres (naturel et surnaturel) et non pas séparation ni même succession : combattre légitimement au plan naturel ne doit surtout pas empêcher de combattre simultanément et distinctement au plan surnaturel. La doctrine sociale de l’Eglise est précisément fondée à la fois sur le Christ-Roi et la loi naturelle, comme deux voies inégales s’appelant et coopérant mutuellement dans une double et unique loi. Le laïcat chrétien sera d’autant plus fort pour proposer politiquement un ordre temporel (chrétien) conforme à la loi naturelle qu’il aura à ses côtés un des évêques pour prêcher à tous la loi d’Amour selon leur état. C’est même à mon avis, par la voie d’une certaine « culture de la dissidence » (comme dit Mgr Rey), le b-a-ba de la reconquête et de la mission, comme j’ai tenté de l’expliquer dans mon opuscule Le communautarisme est-il un péché Cf. aussi mon premier passage au Forum catholique. Bien cordialement.
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