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Réponse par abbé Bernard Lucien (2008-02-28 21:22:18) Imprimer

Monsieur,

Je trouve enfin un moment pour apporter quelques éléments de réponse aux réflexions que vous m’avez soumises.

1°) Je me permets d’abord de vous faire observer que la position que vous critiquez a été placée par moi non pas sous le signe de la certitude, mais du questionnement et de l’objection (à la position contraire) : cf. La situation actuelle de l’autorité dans l’Église, p. 66 :
« Qu’en est-il, maintenant, de la position de saint Robert Bellarmin ? Da Silveira a-t-il raison lorsqu’il pense que, selon ce Docteur, aucun jugement de l’Église (Concile imparfait... ou autre ( ?)) n’est requis pour la perte du Pontificat par suite d’hérésie ?
Cela nous semble pour le moins discutable. »

2°) Je reconnais volontiers que saint Robert ne dit pas qu’il faille nécessairement deux monitions pour que la pertinacité d’un hérétique soit manifeste. Mais il ne dit rien non plus d’autres cas éventuels. Et ce qu’il entend appliquer pour la question précise du pape hérétique, c’est le précepte de saint Paul (« éviter l’hérétique ») précepte qui concerne bel et bien le cas où il y a eu deux avertissements. Dans ces limites, je ne vois pas que je « renverse entièrement le sens de ce texte de saint Robert ». En effet :
a) Le texte de saint Paul qui sert de norme pour saint Robert demande d’éviter l’hérétique après deux avertissements. Saint Paul ne parle pas d’autres cas. Il me semble qu’il en est de même, ici, pour saint Robert.
b) Ce que saint Robert souligne, précisément en opposition à Cajetan, c’est que les deux monitions font que l’hérétique devient manifestement tel. Et alors, s’il s’agit du pape, est ipso facto déposé, et non pas (contrairement à ce que dit Cajetant) à déposer.
c) Vous estimez que saint Robert admet d’autres cas d’hérésie manifeste. Peut-être, mais il ne le dit pas ici : avez-vous un texte ?
Pour ma part, je l’admets tout à fait. Il me semble qu’à l’époque je disais habituellement : il se peut que le coupable reconnaisse lui-même son hérésie : auquel cas l’héréise est manifeste immédiatement. Mais nous quittons saint Robert, ce qui n’est pas votre propos (ni le mien dans les passages incriminés par vous).

3°) Votre premier argument n’ajoute rien à l’affirmation de de votre thèse, examinée dans mon (2°).

4°) Je concède votre second argument (cf. 2°, c). Mais qu’en est-il s’il s’agit non pas d’un hérétique quelconque, en général, mais du pape hérétique. Et, je précise : du pape qui refuse de se reconnaître hérétique. C’est la seule question que j’entendais examiner (selon mon souvenir et d’après le contexte). Et, la question ainsi précisée, je ne vois pas que saint Robert affirme que l’on puisse éluder les « avertissements ».

5°) Toujours dans votre second argument, vous invoquez la « pratique de l’Église ». Comme il s’agit ici non pas de n’importe quel hérétique (1), mais du pape hérétique, la « pratique » de l’Église n’est pas très abondante. Mais deux cas célèbres me viennent à l’esprit : Philippe le Bel contre Boniface VIII, Savonarole contre Alexandre VI. Dans ces deux cas, autant que je sache, les personnes estimant que le pape était hérétique se sont efforcées d’obtenir la réunion d’un concile pour que cela soit manifesté. Ces personnes n’ont pas estimé que tout était réglé simplement parce qu’elles jugeaient que le pape était hérétique.
J’ajoute qu’en matière de « pratique de l’Église » la jugement de Suarez vaut bien (au moins) celui de Lugo. Or je citait dans mon livre, p. 66 §3, le passage de Suarez réclamant une sentence déclaratoire du crime (c'est-à-dire, de l’hérésie pertinace) pour que le pape soit ipso facto déposé. Or Suarez ajoute : « c’est l’opinion commune des docteurs ».
Votre opinion sur ce point me semble donc, à première vue, controuvée.

6°) Votre troisième argument me paraît relever d’une ignoratio elenchi. Le débat entre les auteurs de l’époque porte sur le fait de savoir si l’intervention de l’Église exerce une causalité propre vis-à-vis de la déposition du pape, et non pas sur le fait de savoir si une intervention est ou non requise, à un titre quelconque (condition ou disposition préalable, par exemple).

7°) Votre quatrième argument montre que d’autres problèmes peuvent être soulevés et étudiés : il ne prouve pas qu’il y ait dans ce que j’ai dit une « opposition à la logique ».

8°) Nestorius n’était pas pape : nous sortons du sujet (je veux dire : du mien, bien sûr). D’ailleurs, le « cas » Nestorius n’a été vraiment « réglé » qu’avec la réunion d’un concile œcuménique.

9°) Votre argument 6 revient à ce que j’ai dit plus haut : si le coupable reconnaît son hérésie, aucun avertissement n’est requis.

10°) argument 7 : non, cela ne constituerait pas une sixième opinion, sous l’aspect précis qui était alors discuté : cf. (6°).

11°) Permettez-moi d’ajouter qu’avec toutes vos objections, vous ne tenez pas compte de l’argument principal que j’ai donné dans mon livre (p. 68), et qui se prend, lui, du texte même de saint Robert. Pour réfuter la deuxième opinion, saint Robert affirme expressément que la juridiction n’est pas enlevée au pape sans une intervention des hommes.

Voilà, Monsieur, les observations que me suggèrent vos propos.
Je suis désolé de ne pouvoir consacrer plus de temps à ce sujet, mais mon emploi du temps est vraiment trop chargé.

P.S. : puisque vous manifestez de bons sentiments, je me permets de vous signaler qu’il n’est peut être pas indispensable à la solidité de vos propos de parler de « l’audacieuse prétention » de l’auteur que vous vous efforcez de réfuter.

Abbé B. Lucien, 28 février 2008.

__________________________________________________
(1) Par ailleurs, je ne vois pas bien pourquoi vous renvoyez à Lugo, De Fide, disp. XX, sect. VI, n° 174 sqq. En effet, au début de ce numéro, Lugo affime : « Quinta et verior et communior sententia dicit, quamlibet ignorantiam, etiam crassam et affectatam, excusare ab haeresi et haereticorum poenis. » Je n’ai pas le temps de tout lire, mais cette simple remarque va plutôt, me semble-t-il, dans le sens de la grande difficulté à affirmer que quelqu’un est pertinace dans l’hérésie, sans une intervention de l’Église et en dehors de l’aveu du coupable.
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